Le professeur de Ferdinand Hodler fait l’objet d’une exposition au Cabinet d’arts graphiques
En 1872, Barthélemy Menn (1815-1893) prend le jeune Ferdinand Hodler sous son aile. Ce dernier dira qu’il lui «tout appris». En ouverture de cette année de centenaire de la mort de Hodler, le Cabinet d’arts graphiques propose une exposition qui offre un nouvel éclairage sur l’oeuvre de ce professeur et directeur de l’École de la figure de la ville de Genève, doublée d’un catalogue d’exposition qui fera date. L’artiste est très présent dans les collections du Musée d’art et d’histoire, à travers près de 3 000 dessins, aquarelles, études à l’huile et tableaux. Parmi les quelque 130 oeuvres exposées, une feuille témoigne de son travail de copie des maîtres anciens ainsi que de son activité d’enseignant.
Portrait d’après Garofalo
La Tête d’un jeune homme avec des cheveux longs et bouclés portant un béret fut inventoriée en 1912 au sein d’un portefeuille de «9 dessins d’après la peinture italienne». Sur le support du dessin, il est fait mention de «Filippino Lippi» comme modèle. Or, les recherches ne menèrent ni à l’artiste florentin, ni à l’une de ses œuvres, comme on le pensait en 1912.

Menn a en réalité posé les yeux sur un dessin à la sanguine qui, depuis 1687, est attribué à Benvenuto Tisi, surnommé Garofalo, et conservé au Cabinet des dessins et des estampes de la Galerie des Offices à Florence. En effet, le peintre genevois séjourna dans la ville italienne au cours de l’été 1835, où il copia des toiles de Titien et de Véronèse aux Offices, tout en s’intéressant aux esquisses. On sait depuis longtemps que Menn a reproduit les détails d’un dessin préparatoire pour La Déposition du Christ de Raphaël et l’étude d’après Garofalo doit avoir été effectuée au même moment. Menn a globalement restitué la présentation à l’identique, sans toutefois s’attarder religieusement sur chaque trait. Cette prise de liberté confère à la copie vivacité et singularité.
S’exercer à connaître les formes
Il est difficile de déterminer avec certitude si les trois études de tête figurant sur le côté droit ont été dessinées avant, après ou au même moment. Le portrait en profil au menton protubérant d’après Léonard de Vinci pourrait avoir été ajouté plus tard, car les silhouettes caricaturales reproduites en fac-similé étaient alors en circulation et Menn pouvait y avoir eu accès à Paris ou à Genève. La caricature fait référence au grand artiste de la Renaissance, tout comme les deux études du milieu renvoient au procédé mis au point dans le cercle de Léonard de Vinci, avant d’être représenté dans les quatre livres de Dürer sur les proportions de la figure (1528, traduit en français 1557) et popularisé par l’intermédiaire d’Erhard Schön dans son Unterweisung der Proportion und Stellung der Possen (1542). Les deux études de tête esquissées au trait fin renvoient quant à elles à l’enseignement transmis ultérieurement par Menn. Dans l’étude du haut, le professeur a reproduit à nouveau la Tête du jeune homme, mais s’est limité aux lignes de contour et a schématisé le visage en réduisant la surface en saillie ou en retrait à des formes géométriques, en «cubant» respectivement la bouche et le nez. Menn introduisit le procédé dans ses cours dans les années 1870. L’exercice visait à approfondir la connaissance de la forme et à renforcer l’imagination des élèves.
Texte de Marie Therese Bätschmann, commissaire de l’exposition