L’exposition Silences se penche sur la question.
Silencieux, les arts plastiques le sont par essence, comme le rappelle l’expression «poésie muette» qui, dès l’Antiquité, fut employée pour désigner la peinture. Mais toute œuvre d’art est-elle pour autant silencieuse? Il est des peintures bavardes, criardes même, et il en est d’autres qui se tiennent «coites». Certaines incitent à l’intériorité de la prière, d’autres ouvrent à la contemplation de l’infini, certaines nous laissent interdits ou dans l’effroi, d’autres, énigmatiques et secrètes, semblent une matérialisation de l’ineffable.
Mêlant les genres, les motifs et les époques, l’exposition Silences est centrée sur le silence envisagé non seulement comme l’absence de bruit, de son ou de parole, mais aussi comme un état, une présence au monde, dont certaines œuvres d’art nous offrent une forme condensée. Prenant pour ancrage la subjectivité du spectateur, à travers le large registre des expériences de silence – apaisant ou angoissant, solitaire ou partagé, quotidien ou exceptionnel, intime, métaphysique ou mystique –, cette exposition interroge la manière dont les artistes nous donnent à voir le silence, et ce faisant nous le donnent à vivre. Et ce grâce au généreux concours de prêteurs institutionnels et de collectionneurs privés.

Une première partie, organisée autour de la figure humaine, met d’abord en avant les mises en scène du quotidien silencieux, des Hollandais du Siècle d’or à Albert Anker en passant par Jean-Étienne Liotard; mais aussi, en contrepoint à ces représentations idéalisées, celles du non-dit, comme chez Félix Vallotton. Une place de choix sera bien sûr donnée au genre silencieux par excellence, celui de la nature morte. Celle-ci sera abordée sous ses deux versants complémentaires: la vie silencieuse (still life) et la vanité, invitation à la méditation sur la finitude de la vie.

Avec cette dernière s’ouvre l’espace du silence religieux, à travers des œuvres conçues pour susciter la dévotion, mais aussi pour refléter la grande variété des réactions à la manifestation du sacré, de l’extase à la stupeur ou à l’angoisse de la mort (Lubin Baugin, José de Ribera, Rembrandt). Cette inquiétude peut se retrouver sous forme de mélancolie, source d’intrigantes représentations symboliques (Dürer, Carrière) et de saisissants autoportraits (de Liotard à François Barraud), mais aussi d’un réinvestissement de genres traditionnels, poussés jusqu’à une forme de pure poésie du silence (Hammershøi, Morandi).

La mélancolie et la rêverie ouvrent le champ plus large de l’espace du silence aussi bien concret, sous la forme du paysage (de Calame à Hodler), que mental ou abstrait, avec tous les degrés intermédiaires des espaces symboliques (Rossi) ou conceptuels (Thomas Huber, James Turell). Présent dès la première partie avec Mat Collishaw ou Mark Lewis, l’art contemporain trouvera ici à se déployer plus largement, avec des œuvres approfondissant l’expérience même du silence, dans une zone intermédiaire fertile entre musique et arts plastiques.
