Les musées meurent aussi

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Le musée donne une image rassurante dans le paysage urbain. Il domine souvent un quartier de sa monumentalité. Il évoque des souvenirs d’enfance, des visites pour découvrir une momie ou une célébrité locale. Plus tard, on le fréquente pour s’extraire du quotidien, partager le savoir et le plaisir du regard. Avec le temps, on éprouve une sympathie réelle pour une institution censée avoir l’éternité devant elle. Le musée d’aujourd’hui s’est ouvert à un public plus large, impatient, qui demande plus d’interactivité, d’événements et de médiation, loin du silence empesé d’usage au siècle dernier. Il est devenu un lieu de vie.

Une chose semble évidente au visiteur: le musée est immuable. Il est le garant des valeurs de cohésion d’une communauté en perpétuelle évolution. Objet touristique incontournable, il participe de l’économie locale. Du premier Homo sapiens d’Amérique du Sud présenté à Rio aux premiers signes de néolithisation conservés dans les musées d’Irak, on croyait pouvoir compter sur les musées pour transmettre aux générations futures des objets qui n’ont pas livré tous leurs secrets.

Mais la préservation et la conservation des collections et des bâtiments qui les accueillent exigent des normes de sécurité de haut niveau, des techniciens bien formés et connectés aux services de secours. Pour éviter le drame, il convient d’être vigilant. Genève n’est pas resté inactif: un travail de fond a été entrepris conjointement par la Ville et le Canton au sein d’un programme intitulé protection des biens culturels (PBC), regroupant les compétences nécessaires pour protéger et extraire les œuvres en cas de sinistre. L’installation en cours des collections municipales dans un nouveau dépôt répondant aux standards internationaux de conservation constitue également une nouvelle avancée.

Malheureusement, le Musée national de Rio de Janeiro, l’un des grands musées d’Amérique, a quant à lui été irrémédiablement détruit par le feu le 3 septembre, faute d’entretien. Même l’eau manquait dans les bouches d’incendie. Nonante pour-cent des collections sont partis en fumée. Des dizaines de milliers de pages de «littérature grise», constituées d’études préparatoires qui n’ont jamais été publiées ou numérisées, ont également disparu. Elles constituaient les outils du quotidien pour de nombreux chercheurs. Or le 3 septembre, la mémoire anthropologique de l’Amérique a été gravement mutilée. Sans doute le bâtiment sera réhabilité et la vie muséale reprendra son cours, mais amputée de deux siècles de recherches et de collections.

Partout dans le monde, des collections agonisent dans un semblant de confort. Les expositions temporaires fortement médiatisées cachent souvent la grande misère des collections permanentes. Le statut d’inaliénabilité des collections publiques les protège des trafiquants d’art et de leurs clients mais ne garantit pas leur sécurité physique. Ce qui vient de se produire à Rio est une tragédie culturelle, un «suicide national» a titré «O Globo», le grand quotidien brésilien.

L’heure est maintenant à la solidarité. La Société des amis du Musée d’ethnographie de Genève a légitimement pris l’initiative de coordonner les offres de dons et de collaboration émanant de Genève. Puisse cet appel être entendu: c’est maintenant qu’il faut agir!

Article publié dans la Tribune de Genève le 11 septembre 2018

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