Les Mannequins de Corot de Denis Savary sont au musée

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Jusqu’au 25 août 2013, l’artiste suisse Denis Savary investit une des salles des beaux-arts avec un ensemble d’œuvres, sculptures et édition d’artiste, réalisées spécialement pour le Musée d’art et d’histoire. Son travail s’inspire d’une hypothèse extravagante soutenue par l’historien d’art suisse Édouard Gaillot au milieu du siècle dernier: le peintre Jean-Baptiste Camille Corot serait le véritable auteur de divers chefs-d’œuvre, tels La Finette de Watteau ou l’antique Torse du Belvédère, sur lesquels l’historien serait parvenu à déceler la signature secrète «Corot».

Les musées, lieux de formation

À voir les étudiants de l’HEAD s’installer, crayon et bloc de dessin à la main, devant telle ou telle œuvre des collections du musée, à les voir déambuler dans ce lieu qui semble gaîment leur appartenir, il apparaît que le prolongement naturel de la joyeuse invasion de nos salles se doit d’être l’accueil de leurs camarades lancés dans la carrière d’artiste. Les musées rappellent d’ailleurs volontiers, depuis quelques années, que leur création, à la fin du XVIIIe siècle, était avant tout liée à la formation des artistes. Raison pour laquelle ils les invitent à nouveau à investir leurs espaces pour recréer ce lien génétique qui s’est brisé, entre les années 1880 et les années 1970: Cézanne ou Pissarro déclaraient par exemple qu’il fallait brûler le Louvre (tout en y retournant sans cesse, bien sûr) et les artistes des générations suivantes ont volontiers rejeté tout système institutionnel.

Sans afficher de discours programmatique, les gens de musées savent que la création entière ressemble à une vaste et complexe course de relai où un artiste attrape le témoin que lui a transmis un prédécesseur pour le pousser plus loin, sur la piste même, ou ailleurs, très loin, si loin que le parcours d’un point à un autre se reconnaîtra à peine. Ils savent aussi qu’ils rêvent leurs musées féconds, libres, vivants.

Hommages

Exposition « Les Mannequins de Corot » de Denis Savary dans la salle dite « Corot » du MAH. Photo: B. Jacot-Descombes

L’exposition de Denis Savary, dans la salle dite généralement «salle Corot» – tant la présence de ses toiles sur les cimaises est forte, tout comme le souvenir du lien particulier qui a existé entre Corot et la Suisse – fait simplement et fortement sens. Le sens d’un hommage à Corot que Denis Savary a un peu chassé pour mieux en faire vivre le fantôme.

Le sens d’un hommage à l’histoire de l’art, même quand elle se met à dérailler et à générer, dopés à l’érudition, des historiens si passionnés par leur sujet d’étude qu’ils en deviennent obsessionnels, sujets à fiction, à rêve et à création. L’historien de l’art devenant, à force de connaissances et de certitudes, un potentiel artiste qui invente des œuvres, des signatures, des modèles. Comme Édouard Gaillot qui s’était mis à chercher, loupe à la main, les signatures cachées de Corot: «Regardez, scrutez: qu’il ne reste pas une place où l’œil ne passe et repasse. Si l’œuvre est bien ce que vous pensez, immanquablement – en quelque coin sombre, sous une touffe d’herbe, dans un repli de terrain, un reflet d’eau, en plein ciel – vous aurez la joie de découvrir les cinq capitales magiques. Oh, très discrètes, le plus souvent ton sur ton; mais solides, peintes en pleine pâte, incorporées à la peinture.»* Il chercha également à voir, dans les sculptures de Rodin par exemple, des modèles imaginés par Corot.

Le sens d’un hommage au musée qui préserve – parallèlement à ses aspirations à la vie et au renouveau – des espaces où le temps s’abolit et où se risquent de légers zombies.

Au musée à son tour de rendre hommage à Denis Savary qui habite de son rythme, sa lumière, sa couleur, sa curiosité, sa poésie, ses questionnements, la salle 10 de l’étage des beaux-arts. Il ouvre la voie à d’autres que le musée accueillera bientôt pour le révéler à lui-même.

* Edouard Gaillot, La vie secrète de J.-B. Corot, Paris, Occitania, 1934

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