Les Lutteurs de Baud-Bovy ont retrouvé leur cadre

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Le tableau monumental qu’Auguste Baud-Bovy présenta à l’Exposition universelle de Paris en 1889 a été choisi comme porte-parole du nouvel accrochage des collections beaux-arts.

Les Lutteurs illustrent merveilleusement ce sport 100% helvétique qu’est la lutte à la culotte, originellement pratiqué par les armaillis dans les alpages et encore très en vogue aujourd’hui. La scène se déroule devant un paysage à couper le souffle, comme on peut en admirer en Suisse.

Auguste Baud-Bovy, Les Lutteurs, 1887, © MAH, photo: A. Longchamp, inv. 1889-3

Auguste Baud-Bovy (1848-1899), célèbre peintre genevois, élève de Bathélémy Menn, ami de Gustave Courbet et de Camille Corot, était un passionné de montagne et n’hésitait pas à poser son chevalet face aux paysages alpestres afin de restituer toute leur grandeur avec réalisme.

Après de nombreuses années dans les réserves, ce tableau trouve enfin une place de choix sur les cimaises des galeries de peinture. Toutefois, avant sa remise en salle, un important traitement de conservation-restauration de son cadre a dû être effectué, afin de lui rendre toute sa splendeur.

Première phase, la conservation curative

Il fut un temps où, pour faciliter la gestion des réserves, il était d’usage de séparer tableau et cadre. Cela permettait de gagner de l’espace tant en terme de superficie et d’épaisseur entre les grilles de stockage, que de poids. Malheureusement, ces séparations étaient risquées, car on pouvait perdre la trace d’un cadre s’il n’était pas correctement identifié et elles pouvaient occasionner de gros dégâts. En effet, une fois séparé de son œuvre, l’encadrement n’est pas toujours traité avec les mêmes égards.

C’est ce qui arriva à nos Lutteurs! Le tableau fut stocké dans le dépôt dédié aux peintures, tandis que le cadre rejoignit celui dévolu aux cadres. Heureusement, le tout bien identifié. Le cadre a été stocké en quatre morceaux sur des étagères en raison de ses grandes dimensions: plus de 3m50 pour les grands côtés! Cependant, il présentait certaines lacunes, essentiellement sur les moulures.

Les grands côtés de plus de 3m50 de long, entreposés dans le dépôt des MAH

Le but de la première étape de la restauration, dite de conservation curative, est de conserver au maximum toutes les parties existantes du cadre, de veiller à sa stabilisation structurelle et de respecter le travail fait à l’origine sur celui-ci.

Lorsque le cadre est arrivé à l’atelier, il a été délicatement dépoussiéré et soigneusement refixé à la colle de peau de lapin diluée. Sous l’épaisse couche de crasse est alors apparue une très jolie baguette ornée de moulages de feuilles de chêne et de rubans, avec des feuilles d’acanthe aux quatre angles.

La polychromie avait été réalisée à la poudre de bronze de manière admirable, afin d’imiter la feuille d’or. Une technique plus rapide et plus économique que la dorure, et qui demande moins de savoir-faire. Elle était très en vogue au XIXe siècle, période durant laquelle ont été développés de nombreux procédés permettant une production à grande échelle.

Il en va de même pour les moulages, remplaçant souvent le bois sculpté: une fois que les moules sont faits, il ne reste plus qu’à couler le plâtre et la moulure est prête. Cette méthode permet de réaliser des métrages de cadres moulurés en un temps record.

Sous la lacune de la feuille d’acanthe, on peut voir la préparation au plâtre utilisée lors du moulage des feuilles de chêne.

Deuxième phase, la réintégration

Afin de permettre une bonne lecture du tableau, le cadre se doit de ne pas gêner le regard et doit donc présenter une certaine uniformité. C’est pourquoi la réintégration est très importante. Pour se faire, on procède à la reconstitution des éléments manquants et à leur intégration à l’œuvre grâce à une polychromie la plus proche de l’originale.

L’empreinte des moulages manquants est prise sur des parties intactes au moyen de pâte de silicone qui, une fois mélangée à son durcisseur, va se rigidifier au contact de l’air pour donner un moule souple comme du caoutchouc.

Moule en silicone des deux parties de la feuille d’acanthe

On peut alors mouler la pâte de doreur – un mélange de colle de peau de lapin et de craie de Champagne. On l’applique dans le moule par petites pressions du bout des doigts afin d’éviter la formation de bulles. Cette pâte de doreur est malléable comme de la pâte à modeler et va durcir à l’air. Mais sa propriété première est qu’elle peut, au besoin, servir de préparation à la dorure, car elle a la même composition que le blanc de doreur qui sert à préparer le bois avant la pose de la feuille d’or.

Ensuite, on ponce ces moulages afin de les fondre aux ornements originaux et on pose les deux assiettes (ou bol d’Arménie composé d’argile et souvent reconnaissable à sa couleur rouge): la jaune dans les fonds et la rouge sur les dessus. Les couleurs de celles-ci sont soigneusement choisies afin de s’accorder au mieux à l’assiette originale. L’assiette sert habituellement à « assoir l’or », ici elle est utilisée pour imiter la dorure car on la devine en transparence et afin de permettre de brunir (ou polir à la pierre d’agate) le bronze comme on le ferait sur une dorure à l’eau.

Une feuille d’acanthe avec les deux assiettes

Enfin, on applique la poudre de bronze à l’aide d’une toute petite quantité de colle de peau de lapin, presque à sec. La poudre de bronze est choisie parmi un mélange de différentes teintes afin de s’accorder au mieux au cadre. Les dessus sont ensuite brunis à la pierre d’agate afin de les rendre brillants et de conférer du relief à cette polychromie.

Pour finir, les retouches sont patinées avec du vernis Damar dilué et mélangé à des pigments terre de sienne et noir et le cadre est protégé avec ce même vernis dilué.

Détail après la pose du bronze et de la patine

L’encadrement et l’accrochage

Une fois le traitement de conservation-restauration achevé, il fallut encore ré-encadrer l’œuvre. L’opération s’est déroulée en salle pour des raisons évidentes d’espace!
Les quatre côtés ont été assemblés au moyen de clefs et de grandes vis fixées au dos du cadre. Le tableau a été posé dans la battue du cadre, préalablement recouverte de mousse protectrice et solidement fixée à celui-ci à l’aide de lamelles ressorts inoxydables.

L’accrochage de l’œuvre au mur

Lors de l’accrochage, cinq hommes et un échafaudage ont été nécessaires pour soulever et fixer au mur nos deux Lutteurs, aujourd’hui présentés en salle 411 de l’étage des beaux-arts.

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