Les « Intimités » de Félix Vallotton

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Entre innovation stylistique et critique sociétale

L’œuvre de Félix Vallotton (1865-1925), dont le Musée d’art et d’histoire conserve plusieurs centaines d’estampes et de peintures, comprend de nombreuses scènes d’intérieur. C’est le cas des Intimités, une série de dix estampes publiée en 1898 par les éditions de La Revue blanche et qui présente divers moments de vie d’un couple dans son intimité.

Neuvième planche de la série, La Santé de l’autre donne à voir un homme malade assis sur un lit, coussins et couvertures sens dessus dessous. Agenouillée sur le matelas derrière lui, sa femme, amie, amante (?) le soigne. Cette image illustre la manière dont Vallotton s’approprie la technique de la xylographie, techniquement et stylistiquement.

Félix Vallotton (1865-1925), La Santé de l’autre, 1898.
Xylographie, 250 x 322 cm (feuille), état III/III. CdAG, Don Lucien Archinard
©MAH, inv. E 79-0539

Vallotton xylographe

Peintre de formation, Vallotton se tourne vers l’estampe dès le début des années 1890. La lithographie est alors très répandue, mais son intérêt se porte sur la xylographie. Technique ancienne de gravure sur bois, cette dernière apparaît en Chine autour du IXe siècle et arrive en Europe environ quatre siècles plus tard. Elle est cependant mise de côté au XVIIe siècle au profit de la taille-douce qui offre plus de liberté et de finesse dans le tracé des lignes et qui est dès lors majoritairement employée.

Gravant lui-même ses planches de bois, Vallotton redécouvre ainsi une technique oubliée à laquelle il donne un caractère tout à fait particulier, une expressivité qui le distingue de ses contemporains.

À l’aide de grands aplats, l’artiste joue sur le contraste tranchant du noir et du blanc, entre plein et vide. Correspondant aux parties non travaillées de la planche, les surfaces noires dominent la composition. L’opacité créée par l’obscurité du mur en arrière-fond et par le matelas donne l’impression d’une pièce vide. Les corps et quelques autres détails qui ont été creusés dans la planche de bois ressortent quant à eux en blanc sur la surface du papier et font respirer la composition.

Dans cette série, Vallotton ne représente pas l’harmonie conjugale, mais plutôt l’hypocrisie des mœurs à l’égard du mariage et de la vie «à deux». L’artiste critique ce qui est attendu par la société en cette fin de XIXe siècle: des apparences trompeuses, des sentiments feints.

Félix Vallotton (1865-1925), L’Irréparable, 1898. Xylographie, 252 x 324 (feuille), état unique. CdAG, Don Lucien Archinard ©MAH, inv. E 79-0540

La Santé de l’autre semble cependant être une exception. En effet, au-delà de l’impression angoissante que peut susciter cet espace apparemment clos, c’est surtout la bienveillance et la tendresse qui se dégagent de cette scène, contrastant avec d’autres planches plus anxiogènes, en particulier la dernière de la série au titre pour le moins évocateur: L’Irréparable, où un lourd silence se fait sentir.

Vallotton parvient ainsi, par des formes simples et de larges aplats, à exprimer de manière subtile les émotions et les sentiments de chacun des personnages. Comptant parmi les plus célèbres de son œuvre et participant à sa renommée, ces planches démontrent toute la virtuosité de ses talents de graveur.

Texte rédigé par Margaux Honegger, historienne de l’art, qui a effectué un stage au Cabinet d’arts graphiques.

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