Gros plan sur ces ouvrages d’art devenus incontournables
Conservatrice en chef de la Bibliothèque d’art et d’archéologie (BAA), Véronique Goncerut revient sur Les Catalogues d’exposition, depuis des siècles au service de l’art, présenté jusqu’au 29 mai à la BAA.
Quelle est l’idée derrière cette exposition?
Chaque exposition de la BAA a pour objectif de montrer la richesse de ses fonds. Le catalogue d’exposition est un média qui est spécifique au musée et à l’art. Nous en conservons plus de 75’000, retraçant toute l’histoire du catalogue du XVIIe siècle à nos jours. Le premier exemple est un fac-similé d’un livret de Salon de 1673, réimprimé en 1852 – les originaux sont très rares. Cette simple liste des objets exposés sera, au fur et à mesure que les moyens de reproduction se démocratisent au XIXe siècle, peu à peu agrémentée de lithographies, puis de photographies. Aujourd’hui, compte tenu de sa taille, du moment auquel il est publié et de l’événement auquel il est lié, le catalogue remplace clairement la monographie d’artiste.
L’apparition des gravures et des photographies répond-elle à une demande des visiteurs?
Avoir un catalogue était, et demeure, un moyen pour le visiteur de «conserver» ce qu’il a vu. Dans les salles, il servait d’outil de repérage, voire de support pour prendre des notes. N’oublions pas que les œuvres présentées au Salon étaient à vendre! En 1817, la presse lithographique arrive à Paris, un moyen de reproduction plus rapide et plus économique que la gravure, et dès 1819 paraît le premier catalogue illustré. Qu’elle soit à fin documentaire ou pour le plaisir de conserver un souvenir, la reproduction est essentielle puisque le sujet est le tableau, l’œuvre d’art, en particulier lorsqu’il s’agit d’artistes importants ou d’œuvres attendues comme Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, qui figure dans le premier catalogue illustré (1819). Dans la première vitrine de notre exposition, un article de la Tribune de Genève de 1901 dit que l’ajout d’images des tableaux présentés rend la liste «moins aride». On peut ainsi imaginer la frustration de certains qui, après avoir baigné dans un univers visuel, repartent avec une simple liste de noms. Même aujourd’hui, sans les illustrations, je doute que les catalogues d’exposition aient le même attrait.
Quand le catalogue tel qu’on le connaît aujourd’hui fait-il son apparition?
Avec le XXe siècle, après les guerres, la culture devient un matériel propre à être démocratisé. Les musées, les galeries et le marché de l’art vont s’ouvrir au public. Une grande créativité surgit alors dans les catalogues de ventes ou d’institutions; je pense à la Fondation Maeght par exemple… Ces ouvrages sont alors utilisés comme un vecteur de présentation de sujets thématiques, d’artistes, mais aussi des collections. L’exposition devient l’occasion d’une communication. Dans les années 1960, avec le courant minimaliste, on triture beaucoup le livre qui va jusqu’à devenir un livre-objet et un objet d’art en soi. Vous verrez ici beaucoup de catalogues d’exposition hors norme, fruits d’expérimentations par les artistes, les commissaires ou les musées. Au MAH, par exemple, l’exposition Sonnabend en 1990 était accompagnée d’un catalogue sous forme de cartes postales réunies dans une petite boite…
Cette volonté de créer un objet particulier perdure-t-elle?
Les institutions pouvaient exprimer une forme de créativité, en particulier dans les années 1960 et 1970 où l’on se sentait très libre de revisiter les objets traditionnels. Les livres d’Ed Ruscha, par exemple, sont des objets d’art fabriqués à partir d’éléments d’une grande simplicité. Encore récemment, une exposition sur la mode des objets gonflables proposait son catalogue à l’intérieur… d’un coussin gonflable. J’en ai donc acheté deux exemplaires: le premier que j’ai découpé pour accéder au livre et le second que j’ai conservé en l’état. Nous présentons l’ouvrage accompagnant Chimériques polymères: le plastique dans l’art du XXe siècle, à Nice en 1996, et tiré à 3’000 exemplaires: le livre se trouve dans un coffret plastique constitué d’une Accumulation d’Arman d’un côté et d’une Compression de César de l’autre. Aujourd’hui, ce type d’objet exceptionnel relève souvent du marketing.
Comment voyez-vous l’avenir du catalogue d’exposition?
À l’époque pré-Internet, il était important pour les scientifiques de publier leurs recherches. Désormais, pour des raisons de marketing et de vente, ces études doivent passer par la case «exposition» pour être publiées dans un catalogue susceptible d’être vendu aux visiteurs – un ouvrage indépendant n’attirera que l’attention des scientifiques ou connaisseurs et sera distribué en librairie ou noyé dans le choix proposé par les plateformes de vente en ligne. Les visiteurs d’une exposition aiment conserver un souvenir de ce qu’ils ont vu, sous la forme d’un album, d’une carte postale, d’une affiche… Le choix est si vaste qu’il n’est pas exclu qu’un jour le catalogue prenne une forme exclusivement numérique, à télécharger sur une tablette ou un smartphone, qui ne nécessite ni stockage, ni impression et sera susceptible de séduire les jeunes. L’histoire montre que les nouveaux médias utilisés par les gens avec peu de moyens finissent souvent par s’imposer.
Comment avez-vous procédé à la sélection des œuvres de l’exposition?
Nous avons la chance de tout avoir et nous voulions le montrer! Nous sommes, par exemple, les seuls à posséder certains catalogues originaux des Salons parisiens. Notre lecture est d’abord chronologique, pour témoigner de l’introduction de l’image, puis de la couleur. Par souci d’intérêt patrimonial, nous nous sommes également arrêtés sur les plus anciens catalogues genevois dans nos collections (dès 1835), pour souligner la richesse des expositions et rappeler le nom des imprimeurs à Genève. La sélection étant réduite, nous voulions frapper fort et juste avec des objets sortant du lot. Qu’il s’agisse d’objets tape-à-l’œil des années 1950 et 1960, ou d’un simple livret de stencils de peu de qualité, qui se trouve être l’un des premiers catalogues de la galerie Ecart fondée par John Armleder, Patrick Lucchini et Claude Rychner. Là réside tout le travail d’une bibliothèque rattachée à un musée, qui est une porte d’accès privilégiée donnant sur le travail des artistes. Il nous importait aussi de parler de l’art le plus contemporain et des grandes manifestations (Documenta, la Biennale de Venise, Art Basel), dont les catalogues sont assez primaires mais importants sur le plan documentaire et historique.