Le musée par les chemins de traverse (II)

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Visite originale sur le thème de la barbe au Musée d’art et d’histoire

Barbants, les musées? Certainement pas… la preuve avec ce sujet au poil! Le musée, en particulier le MAH, est l’endroit idéal où trouver les réponses à des questions insoupçonnées… Autrement dit, on élargit son horizon! Prenons le thème inattendu de la barbe: de la mode des hipsters aux Sept nains en passant par le Père Noël, elle est omniprésente dans la culture populaire. Au musée, on peut la rencontrer dans les salles antiques comme dans les salles de beaux-arts.

L’autoportrait à la longue barbe

Le parcours commence avec le Genevois Jean-Liotard (1702-1789), artiste phare des collections, dont le nom figure en bonne place sur la façade du musée. Miniaturiste et portraitiste de renom, celui que l’on surnommait au XVIIIe siècle «le peintre de la vérité» tant ses portraits débordaient de vie, arbora quelque temps une barbe longue et touffue qui contribua à faire sa réputation. Adoptant la mode turque, il se l’était laissé pousser à Constantinople, où il s’était bâti une réputation de portraitiste hors pair auprès de la communauté européenne de la capitale ottomane. Le caftan bleu, de la même couleur que la craie fichée dans le support de bois, et la veste de velours rouge témoignent de cette mode turque qu’il affectionnait.

L’autoportrait dit «à la longue barbe» porte admirablement son nom. Bouclée, fournie et grise, cette barbe vole presque la vedette à l’artiste qui se représente, pastel à la main, dans l’exercice de son art. Ce dessin de grand format est exposé au milieu d’autres portraits de Liotard, immortalisant ses contemporains genevois ou étrangers de passage. Tous ces messieurs sont parfaitement glabres. Mentons lisses, perruques poudrées, joues roses… On imagine aisément l’effet qu’a pu faire Liotard dans les salons occidentaux! Le mariage aura cependant raison de son originalité pileuse…

La barbe de Dionysos

Citons également Dionysos, dieu de la vigne et du vin. Sur les vases grecs les plus anciens, il est musclé, tout en barbe, avec des feuilles de vignes sur la tête, toujours prêt à boire un canthare ou une coupe à la main. Autour de lui, dansent parfaitement ivres des ménades et des satyres priapiques, mi-hommes, mi-boucs. Avec le temps, l’iconographie de Dionysos évolue: il rajeunit et perd du poil. Chez les Grecs anciens, la barbe est en effet un signe d’âge et de dignité – à l’image du roi des dieux Zeus ou de son frère Poséidon, la vieille génération olympienne est barbue. À l’époque hellénistique, le culte de Dionysos se complexifie et la barbe ne sied plus à ce dieu devenu juvénile et raffiné.

Kyathos, dernier quart du Ve siècle av. J.-C.. Terre cuite, décor peint, haut.: 14,7 cm; diam.: 10,9 cm © MAH, Genève, inv. 004792
Kyathos, dernier quart du Ve siècle av. J.-C.. Terre cuite, décor peint, haut.: 14,7 cm; diam.: 10,9 cm
© MAH, Genève, photo: A. Longchamp, inv. 004792

L’absence de barbe est donc synonyme de jeunesse. Jean, par exemple, le plus jeune des apôtres: il a toujours le menton lisse, alors que chez ses onze compères, c’est la foire aux poils! Une chose est sûre, les marchand du temple ne vendaient pas des rasoirs… Qu’il soutienne la Vierge dans les scènes de déploration du Christ, participe à la Cène ou bénisse la coupe remplie de serpents que le prêtre du temple de Diane, à Éphèse, l’avait mis au défi de boire, Jean est toujours glabre. Au Musée d’art et d’histoire, peintures, sculptures et vitraux en attestent.

La barbe de l’empereur

Mais l’Empire romain détient la palme de la Révolution pileuse. Le Musée d’art et d’histoire conserve et expose la plus belle collection de portraits romains sculptés de Suisse; des pièces magnifiques et que du beau linge: Auguste le premier empereur (27 av. J.-C.-14), Trajan le conquérant de l’or des Daces (98-117), Marc-Aurèle l’empereur philosophe (121-180).

Buste, L’empereur Marc-Aurèle, milieu du IIe siècle (entre 161 et 169), lieu de découverte indéterminé. Marbre de provenance indéterminée, sculpture en ronde-bosse, haut.: 75 cm; larg.: 67 cm © MAH Genève, photo : Y. Siza, inv. 019050
L’empereur Marc-Aurèle, milieu du IIe siècle (entre 161 et 169), lieu de découverte indéterminé. Marbre, sculpture en ronde-bosse, haut.: 75 cm; larg.: 67 cm © MAH Genève, photo : Y. Siza, inv. 019050

Le premier est rasé de près, propre sur lui, car la barbe à son époque est… barbare. Le dernier, en revanche, arbore une belle barbe bouclée, à l’image de celle des philosophes grecs dont il se réclame. Et voilà que d’un siècle à l’autre, les Romains autrefois glabres adoptent tous la barbe. C’est l’empereur qui donne le ton!

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