Le musée par les chemins de traverse (I)

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Quel pied!

Arpenter les musées, c’est souvent mettre ses pieds à rude épreuve! L’occasion d’une visite sur ce thème à travers une sélection d’œuvres du Musée d’art et d’histoire, en s’intéressant plus particulièrement au pied dit «grec». Caractérisé par un deuxième orteil plus long que le pouce, le pied grec n’est pas le plus répandu dans la nature, puisqu’il ne concernerait que 5% de la population mondiale et 46% des Grecs. Statistique qui tendrait à prouver qu’il porte plutôt bien son nom, à défaut d’être facile à caser dans des chaussures!

Le pied grec, roi de la sculpture antique

Une chose est sûre, dans le domaine du canon esthétique, le pied grec a un statut privilégié. Les sculptures antiques, pour autant qu’elles aient encore des pieds, le prouvent.

Apollon Saurochtone d’après Praxitèle, Ier quart IIe s.et XIXe s.. Marbre sculpté en ronde bosse, restes de peinture rouge sur le tronc. H.: 110 cm; l.: 71 cm, © MAH, photo : A. Longchamp, inv. MF 1316
Apollon Saurochtone d’après Praxitèle, Ier quart IIe siècle et XIXe siècle. Marbre sculpté en ronde bosse, restes de peinture rouge sur le tronc. H.: 110 cm; l.: 71 cm, © MAH, photo : A. Longchamp, inv. MF 1316

Ainsi, l’Apollon Saurochtone, copie romaine d’un chef-d’œuvre du sculpteur athénien Praxitèle (IVe siècle av. J.-C.). La version du Musée d’art et d’histoire, découverte à Rome au milieu du XIXe siècle, n’est conservée que dans sa partie inférieure – la poitrine, les bras et la tête du jeune dieu ont été recréés en plâtre d’après la copie du Musée du Vatican. Ce fragment l’atteste: le jeune archer, dieu des arts réputé pour sa grande beauté, a le pied fin et gracieux et le deuxième orteil qui dépasse, dans une version délicate et harmonieuse du pied dit grec!

D’autres statues célèbres d’Apollon, tel l’Apollon du Belvédère, présentent ces mêmes proportions. Les dessins d’après l’antique réalisés à Rome par Jean-Pierre Saint-Ours permettent de le vérifier.

Statue monumentale de Trajan par Crésilas (attribution incertaine) et Salvino Salvini (1824-1899), 112/113 et vers 1865 (restauration et reconstitution de la partie inférieure de la statue). Marbre de Carrare sculpté en ronde-bosse. H.: 213 cm; l.: 114 cm © MAH Genève, photo J.M. Yersin, inv. 008938
Statue monumentale de Trajan par Crésilas (attribution incertaine) et Salvino Salvini (1824-1899), 112/113 et vers 1865 (restauration et reconstitution de la partie inférieure de la statue). Marbre de Carrare sculpté en ronde-bosse. H.: 213 cm; l.: 114 cm © MAH Genève, photo J.M. Yersin, inv. 008938

Un peu plus loin, la statue de l’empereur Trajan héroïsé arbore, elle aussi, de beaux pieds grecs. Et pourtant il s’agit d’un Romain, dont le pied est caractérisé par des orteils sensiblement de même longueur. Mais rien d’étonnant à cela. Les Romains, grands admirateurs de l’esthétique grecque, étaient prompts à la prendre pour modèle. Cette statue emprunte ainsi un archétype grec fameux. En effet, la tête de l’empereur, marquée par l’âge, est posée sur un corps jeune et puissant emprunté au Diomède du sculpteur Crésilas (actif à Athènes au Ve siècle av. J.-C.). Comme ses sandales le laissent voir, ses deuxièmes orteils dépassent bien…

Les pieds dans la peinture

D’autres magnifiques exemples se trouvent dans la grande peinture du XVIe siècle Le Péché originel (vers 1580). Est-ce à dire qu’à sa genèse, l’humain avait le pied grec? Pour cet artiste inconnu de l’École flamande du moins, le premier homme et la première femme ont tous deux le deuxième orteil plus long, bien plus long que le pouce. Cet allongement s’accorde ici avec celui des jambes et des corps en torsion, propre à l’esthétique maniériste.

Le Péché originel, attribué à un auteur inconnu de l’École flamande, vers 1580, 220 x 162 cm, huile sur bois, © MAH Genève, photo : B. Jacot-Descombes, inv. 1937-0011
Le Péché originel, attribué à un auteur inconnu de l’École flamande, vers 1580, 220 x 162 cm, huile sur bois, © MAH Genève, photo : B. Jacot-Descombes, inv. 1937-0011

Pour clore ces considérations «hellénopodes», revenons à l’artiste genevois Jean-Pierre Saint-Ours (1751-1809). Comme les peintres du mouvement néoclassique dont il est un représentant, Saint-Ours a exécuté de nombreuses toiles représentant un épisode d’histoire ancienne, avec un souci du détail attestant sa lecture attentive des sources et son étude des monuments et statues antiques. Dans une seule et même œuvre, Les Jeux olympiques ou Le Choix des enfants de Sparte, les personnages ont des pieds de types variés, sans doute à l’image des modèles de Saint-Ours. Cependant, dans Le Tremblement de terre (1783-1799), les choses semblent un peu différentes.

Le Tremblement de terre par Jean-Pierre Saint-Ours (1752-1809), version monumentale, 1783-1799, 261 x 195 cm, huile sur toile © MAH Genève, photo : B : Jacot-Descombes, inv. 1825-0001
Le Tremblement de terre par Jean-Pierre Saint-Ours (1752-1809), version monumentale, 1783-1799, 261 x 195 cm, huile sur toile © MAH Genève, photo : B : Jacot-Descombes, inv. 1825-0001

Le tableau représente une famille terrorisée tentant d’échapper à l’écroulement d’un bâtiment tandis que le sol se craquelle sous la puissance du séisme. La monumentalité des corps évoque la sculpture, en particulier celle des pieds qui dépassent des vêtements drapés. Dans ce monde qui s’écroule, ces pieds s’ancrant puissamment sur un sol en perdition constituent l’ultime résistance…

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