Le Musée d’art et d’histoire fête le théâtre avec Hodler

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Le fantôme de Ferdinand est l’un des personnages d’une pièce inédite

Créée spécialement pour cette quatrième collaboration entre le Musée d’art et d’histoire et la Fête du théâtre, Le Fantôme du maître est une performance théâtrale d’un format inattendu. Incarné par Philippe Macasdar, metteur en scène, comédien et ancien directeur du Théâtre Saint-Gervais, le maître de la peinture suisse vient hanter une visite commentée par Isabelle Burkhalter, responsable de la Médiation culturelle au MAH. Les deux auteurs et interprètes se livrent sur la genèse de la pièce qui se tient à l’étage beaux-arts, avec pour toile de fond les tableaux de la présentation Hodler intime.

Quel est le concept à l’origine de ce spectacle ?

Isabelle Burkhalter: Nous souhaitions garder la forme habituelle de la visite commentée, en y invitant le théâtre. Au fil des discussions avec Philippe, tandis que l’Année Hodler battait son plein, on s’est dit que l’on pourrait inviter le fantôme de Hodler à l’une de ces visites, pour le voir réagir à l’exposition de ses œuvres. Mais il fallait trouver une justification à sa présence.

Philippe Macasdar: L’une de nos interrogations de départ était: un guide entretient-il un rapport affectif avec les œuvres? Au fur et à mesure de la préparation, tout est devenu clair. Il fallait partir du personnage d’Isabelle et imaginer sa relation intime avec les tableaux de Hodler. Cette histoire personnelle est le point de départ de la pièce. La visite commentée débute comme n’importe quelle autre, sauf qu’Isabelle fait du public son confident. Et c’est là que le fantôme de Hodler intervient. Mais je n’en dirai pas plus!

Le Fantôme du maître a pour décor la présentation Hodler intime, à l’étage beaux-arts du musée
©MAH, photo: F. Bevilacqua

IB: J’ai expliqué à Philippe que même si un guide n’aime pas les œuvres dont il doit parler, il lui faut apprendre à les apprivoiser pour donner une bonne visite. On peut ne pas les aimer, ou volontairement choisir une œuvre dont on a horreur et, à force de travail pour susciter l’appréciation du public, on fait illusion. On peut même finir par les aimer simplement parce qu’on les côtoie. L’idée de Philippe était que, finalement, le fantôme de Hodler a peut-être fini par faire aimer ses œuvres à la guide qui ne les appréciait pas plus que cela.

De quelle manière avez-vous procédé pour construire cette pièce?

IB: Si le cadre est purement fictionnel, les éléments sur les tableaux de Hodler sont exactement ceux que l’on donne dans les visites commentées. Philippe ne prononce que des mots du peintre, ou il énonce des faits. À la source, il y a quelques phrases dans les carnets de notes, des phrases tirées de sa conférence de 1897 La Mission de l’artiste, et des propos rapportés puisés dans les biographies.

PM: Isabelle m’avait communiqué toute une série de documents sur et autour de Hodler, des citations que l’on n’a d’ailleurs pas toutes utilisées. Mon intervention inopinée dans une visite aurait pu être perturbatrice, ironique, déplacée. J’aurais pu la reprendre, l’interrompre. Mais finalement, le vrai personnage de fiction ici est le guide, pas Hodler! Ce qui est très agréable, c’est que l’on s’appuie sur tout ce que Hodler a dit sur l’art, tout travaillant sur la notion de «Hodler intime». Je crois qu’Isabelle et moi-même avons réussi à concilier nos forces réciproques et que l’on a été curieux l’un de l’autre. On a deux niveaux de lecture: le premier est historiquement solide, le second est celui d’une fable.

Comment avez-vous abordé cette incarnation?

PM: Je n’ai aucune référence mimétique; je n’ai pas cherché à imaginer la manière dont il pouvait être, se tenir, parler. J’ai évité de prendre l’accent bernois si tant est qu’il l’avait conservé… Une costumière et une maquilleuse vont tenter de me donner l’aspect le plus ressemblant possible à Hodler, en partant de l’Autoportrait au col roulé. Il est dans un univers domestique, entouré de ses tableaux et du mobilier que Josef Hoffman a créé pour son appartement. Il n’est pas en représentation, en costume de ville, mais à l’aise, chez lui.

Ferdinand Hodler (1853 – 1918), Autoportrait, vers 1916
Huile sur toile, 41,2 x 31,2 cm ©MAH, photo: Kuhn, inv. 1939-71

Comment la personnalité de Hodler transparaît-elle?

IB: Son rapport à la nature et à la mort est central. En aparté, le personnage du guide apporte quelques critiques au sujet de ses relations avec les femmes et de sa misogynie, qui est la chose qui aujourd’hui nous choque le plus. À y regarder de plus près, c’est aussi un être fidèle qui a entretenu des amitiés profondes et durables. Et son caractère bien trempé lui a permis d’avaler pas mal de couleuvres et d’aller au bout de ses ambitions.

Quel impact ce travail a-t-il eu sur votre vision du peintre?

PM: Le premier contact que j’ai eu de manière consciente est une série de lectures données avec mes élèves de l’École de théâtre de Suisse romande, à la demande du Centre culturel suisse de Paris et du Musée d’Orsay, dans le cadre de la rétrospective de 2007. Il s’agissait de textes critiques et de témoignages de Hodler. J’avais été impressionné par ses écrits, par la philosophie imbriquée dans la technique et je ne savais pas qu’il avait eu une audience internationale aussi grande. Grâce à ce spectacle, le destin de Hodler, sa vie, son inscription dans l’époque, me sont devenus proches. D’une certaine manière, je suis à l’image du personnage d’Isabelle: un être qui a appris à aimer l’œuvre de Hodler grâce à son fantôme.

Qu’aimeriez-vous que le public retienne de cette rencontre?

IB: Grâce à la Fête du théâtre, le musée attire un public qui ne viendrait pas en d’autres circonstances. Ils découvriront Hodler et s’interrogeront sans doute sur la véracité des éléments cités. N’oublions pas qu’il s’agit d’une vraie visite commentée! Les familiers du peintre et du musée pourront quant à eux profiter d’une variation sur le même thème, d’une approche théâtrale qui permet d’inclure des citations, des anecdotes… Il arrive que des visiteurs nous demandent si nous, médiateurs, sommes des acteurs.

PM: Moi qui viens du théâtre, je suis fasciné par la manière dont le guide fonctionne, ou plutôt «fictionne». La puissance de jeu, de récit, peut être invraisemblable. Cela renvoie à la tradition du bateleur, du camelot, en étroite proximité avec le public.

IB: C’est exact. Ce spectacle est aussi une manière d’interroger les parallèles entre l’art de la visite commentée et celui de la comédie.

Le Fantôme du maître
Représentations gratuites, sur réservation, le samedi 13 octobre 2018 à 14h et le dimanche 14 octobre 2018 à 11h et 14h30.

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