Neuf(s) regards sur le musée
Le MAH a invité des étudiant.es en photographie de la HEAD à lui proposer une vision renouvelée de ses œuvres et de ses salles. S’ouvrir à un regard contemporain et développer sa politique de collaborations institutionnelles: telle est la volonté derrière ce projet aux allures de carte blanche.
Encadré.es par Bruno Serralongue et Frank Westermeyer, leurs professeurs de l’option information-fiction, neuf élèves en 1re et en 2e année de bachelor se sont livrés au jeu. Ces étudiant.es de nationalités diverses n’ont pas nécessairement de souvenirs d’enfance du musée, aussi la découverte du lieu s’est dans l’ensemble faite d’un œil neuf. Chacun.e a pu sillonner le bâtiment du sol au plafond (des catacombes au toit), lors d’un premier repérage. Par-delà le défi créatif, cette expérience fut également un exercice complet avant d’entrer dans la vie professionnelle, partant de l’écoute des souhaits du client jusqu’à la livraison des images retravaillées.
Initialement pensée pour illustrer les agendas mensuels du MAH, la sélection finale faite par les enseignants s’est révélée si qualitative que l’usage des images a été élargi à d’autres supports du musée (ce présent blog, les réseaux sociaux, le magazine MAGMAH). Chaque participant.e a amené son style et son univers propres, incluant parfois ces clichés dans des projets plus vastes qu’ils ou elles nourrissent depuis plusieurs années.
Morgane Roduit
«Le projet que j’ai souhaité développer lors de la collaboration proposée par la HEAD et le Musée d’Art et d’Histoire de Genève, s’inspire de la pratique de mapping vidéo, qui consiste à projeter de la lumière, des vidéos ou des animations contrôlées par ordinateur, sur des volumes, des murs ou des objets.
Pour associer ces animations colorées aux salles du musée, je me suis laissée guider par les sensations que j’ai ressenti en me trouvant face aux œuvres. Grâce au mapping qui recouvre chaque élément sans distinction, les salles que l’on ne regarde habituellement jamais sont révélées et liées fortement aux œuvres. Cela procure une expérience visuelle déstabilisante et immersive et permet de réfléchir à ce que l’on regarde d’une manière plus sensible et personnelle.»
Patrizio Tannorella
«Le Musée d’art et d’histoire est un lieu emblématique de la ville de Genève et n’a pas subi beaucoup de transformations au fil du temps. Les salles ne semblent pas avoir changé depuis mon enfance. Partant de cette réflexion, j’ai décidé de déambuler dans le musée et de m’amuser à superposer différentes ambiances, grâce à des doubles expositions réalisées avec mon appareil photo argentique. Cela m’a permis de poser un regard inhabituel sur ce bâtiment et ainsi renouveler la vision que j’en avais. L’architecture très symétrique et classique se déstructure, devient chaotique. L’utilisation du noir et blanc renforce les lignes, les formes, les textures et les perspectives qui se chevauchent et se brouillent.»
Veronica Amorim
«Le monde devant moi est gris et flou. Il fait assez chaud ici parce que j’ai du mal à respirer. Je reste longtemps ici. Soudain, j’entends des bruits et la lumière s’allume. La lumière éclaire doucement la pièce. De nombreuses ombres se tiennent devant moi. Des mains me touchent. On me porte vers l’extérieur? Oui, la lumière du soleil traverse le film plastique. Pourtant, elle est assez grisâtre. En me déplaçant de pièce en pièce, je vois des choses floues. Je ne distingue rien. Puis le mouvement s’arrête. On me pose sur un socle. Ils secouent mon plastique et l’enlèvent.
Vu à travers du plastique, le monde semble gris et trouble. Si on l’enlève, il apparaît coloré et net. En me promenant dans le musée, j’ai remarqué que les sculptures étaient noyées dans l’espace. J’ai donc décidé de leur redonner un peu de présence par un ajout de couleur sous forme de lumière. Dans l’espace, elles resplendissent en bleu et en rose. Elles semblent plus sensuelles et plus imposantes. C’est presque comme si la couleur avait toujours fait partie d’elles.»
Fabrizio Arena
«Ce projet est composé d’images singulières qui font référence à la fois à l’histoire de la photographie et à certaines de ses fonctions – telles que la reproduction des tableaux, les vues des cathédrales de Frederick Evans ou les topographies de Stephen Shore. Elles jouent également avec les différentes temporalités et le poids de l’histoire présents dans le musée. Mes photographies témoignent de mon impression d’être dans une sorte de posthistoire, où les manières de faire et l’esthétique ne sont pas définies par les mœurs et les règles de l’époque dans laquelle on se trouve, mais plutôt par une libre appropriation de tout ce qui nous a précédés.»
Aurélie Nydegger
«Un lieu chargé d’histoire, une silhouette fantomatique qui erre, un voile blanc qui la recouvre et une mémoire véhiculée de salle en salle… Par ces autoportraits mis en scène, j’ai voulu explorer notre relation à la mémoire. Ce personnage, inspiré du tableau Les Amants de René Magritte, se réapproprie et offre une seconde vie aux espaces du musée. Il marque un état temporel figé au cœur du MAH. Les salles ressuscitent, se restaurent. Un saut dans le temps se produit, il nous aspire dans un univers parallèle issu d’une époque bien lointaine. Mes photographies donnent à voir l’essence même du lieu, les marques du temps, ses fantômes. Par l’intermédiaire de ces mises en scènes, de nouvelles représentations apparaissent, articulées les unes aux autres pour ne former plus qu’une narration.»
Anaïs Richard
«Ma pratique photographique s’articule autour des notions de rencontres et de protocole. Dans le cadre du projet réalisé avec Musée d’Art et d’Histoire de Genève, j’ai repris et prolongé des séries en cours dans lesquelles j’apparais dans l’image mais en tenant des rôles différents. Dans la première, narrative, j’ai utilisé le musée comme un décor afin de représenter un rendez-vous amoureux qui tourne mal. En commençant par cette statue d’un couple amoureux, devant laquelle nos protagonistes sont en total désaccord; en passant ensuite par la salle principale du musée, où l’homme a les yeux rivés sur son téléphone; pour finir enfin dans le bar du musée où l’homme se saoulera afin d’oublier ce rendez-vous raté. La seconde est basée sur un protocole simple consistant à poser, au centre de l’image, dans une position très neutre, le regard face caméra, parmi les personnes présentent à leur domicile ou ailleurs. Par ma simple présence statique, des scènes banales deviennent étranges.»
Luca Nuvolone
Autre
«Si nous sommes souvent confrontés à des tableaux de maîtres et des œuvres grandioses tout au long de notre visite au Musée d’Art et d’Histoire, je suppose que de comprendre quelles sont les choses qui les conservent et les rendent accessibles au public est tout autant intéressant. C’est toute l’essence de la série Autre. L’idée est de mettre l’accent sur les objets composant le musée, mais n’étant pas destinés aux yeux des visiteurs. Les photographies confrontent ces objets avec leurs œuvres adjacentes, questionnant l’utilité de l’un avec ou sans l’autre ainsi que notre regard hiérarchisé face à ce qui nous est montré.»
Ozymandias
«À l’instar d’un iceberg, un musée n’expose qu’une infime partie de sa collection. Que devient alors ce qui n’est pas exposé? C’est la question qui a animé la série de photographies Ozymandias, documentant la façon dont les œuvres sont stockés. Des statues sont entreposées, alignées dans de longs couloirs sombres où le temps semble être figé. Ces images capturent cette atmosphère si particulière dans les sous-sols du Musée d’Art et d’Histoire, reflétant un sentiment d’abandon et de nostalgie transmis par les visages inanimés des statues.»
Batiste von Bergen
«En liant trois images ensemble, je relie des espaces du musée que rien ne relie. Des formes, un geste, un sentiment: une narration naît de ces collages personnels. De nouvelles associations naissent de ma déambulation.»
Kyungju Park
« Do women have to be naked to get the Metropolitan Museum of Art?, se demandent les Guerrilla Girls. L’art a souvent servi de prétexte pour représenter le corps de la femme nue. Mes photographies pointent cette contradiction: le nu féminin est autorisé si c’est de l’art, mais il est soumis à la censure dans la réalité. La lumière du projecteur sur le corps de la femme nue souligne sa beauté en mettant en exergue la censure dont elle est aussi victime par la noirceur du clair-obscur des photographies.»