Le papyrus de Taouat, alias Asetouret, est un recueil de formules religieuses et magiques destiné à faciliter à sa propriétaire l’accès à l’au-delà, monde complexe que l’imaginaire égyptien ne cessa d’enrichir durant plus de trois mille ans. L’une de ses vignettes représente le jugement des morts (pesée du cœur), à l’issue duquel la défunte est admise à parcourir éternellement les chemins de l’au-delà, ou définitivement anéantie dans l’estomac d’un être monstrueux, «la Dévoreuse», qui guette sa proie à côté de la Balance.
Le schéma des opérations est limpide: à droite, la défunte est introduite par une déesse. Pour les passionnés de mode, on relèvera que Taouat porte une ample tunique à manches, telle qu’en revêtaient les élégantes de son temps, alors que le corps de la déesse est enserré dans une robe-fuseau qu’elle portait déjà plus de deux mille ans auparavant. Puis la Balance, avec sur un plateau le cœur de Taouat et, sur l’autre, le symbole de l’équité, de la vérité et de la solidarité sociale. Enfin, faisant office de greffier, Thot à la tête d’ibis énonce le verdict à Osiris, assis tout à gauche, qui présidait la séance. Bel exemple de morale qui exige que le cœur, siège de la conscience et de la mémoire, ait le même poids que la Vérité!
Plus énigmatique, une délégation d’une trentaine de personnages accroupis est figurée au-dessus de la scène. Le long texte qu’illustre cette vignette précise leur rôle. Ce sont les juges, siégeant dans deux chambres composées de quarante-deux assesseurs chacune, qui ne manqueront pas d’interroger le défunt. Pire, chacun d’eux est comme obnubilé par une transgression, un péché ou un acte immoral à ne pas commettre. Et il fallut de l’imagination aux anciens Égyptiens pour dresser une liste de quatre-vingt-quatre interdits, ce qui nous vaut moult subtils distinguos qui feraient encore le bonheur de plus d’un juriste contemporain! Au grand soulagement des défunts, le texte de ce chapitre leur suggère une attitude proactive: plutôt que d’attendre les questions, autant interpeller le juge par son nom et affirmer tout de go ne pas avoir commis telle faute qu’il exècre. À l’issue de ce qui est devenu un monologue, le défunt sera immanquablement proclamé «juste».
La haute qualité morale de ce «jugement» des morts des anciens Égyptiens a souvent été vantée et la liste des péchés niés offre certes un aperçu saisissant des normes sociales. Mais certainement pas cette formule, dès lors que la pesée du cœur est représentée par avance comme victorieuse, et que les paroles prononcées sont «ritualisées», sans la moindre référence à l’existence terrestre véritable de l’impétrant. Peu importe, en fait, qu’il ait fraudé la norme: il suffisait d’affirmer ne pas l’avoir fait. Au reste, un autre chapitre permet de réfréner les ardeurs d’un cœur qui voudrait se montrer trop bavard, voire accusateur… Toute morale a ses limites, face aux exigences de l’éternité.