1. À l’origine du « musée », le Mouseion d’Alexandrie
Le Conseil international des musées, mieux connu sous son acronyme ICOM dérivé de l’anglais, réactualise périodiquement la définition de «musée», qui est à la base de ses activités et de son engagement. Celle qui est consignée dans la version française de ses Statuts, révisés en 2016, est la suivante:
Un musée est une institution permanente à but non lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, transmet et expose le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement, à des fins d’études, d’éducation et de délectation.
Il conviendra de ne pas perdre de vue ce cadre général au fil des développements qui vont suivre, car il a une valeur de référence au niveau mondial.
Réflexion sur le futur du MAH
À la fin du printemps 2016, au cours d’une séance au Musée d’art et d’histoire de Genève, le conseiller administratif du Département de la culture et des sports de la ville de Genève a souhaité, de la part de chacun, une réflexion de fond sur la forme que doit prendre le MAH. Ceux qui conservent depuis des années les collections qui sont à l’origine du musée et en constituent le nerf, les connaissent probablement le mieux. Ils ont, sans doute, aussi, des propositions à faire sur leur mise en valeur. Une commission de sages du monde muséal, externe au MAH, s’y emploie déjà. Et la conception du futur musée verra la jour grâce aux efforts de tous.
À une époque de changements trop rapides pour parfois être vraiment assimilés, peut-être vaut-il la peine de vérifier si tous s’accordent sur la définition de «musée» – puisqu’il est avéré que le Musée d’art et d’histoire va rester un musée –, en remontant à l’origine du mot, qui est aussi celle de la chose. L’évolution de cette notion jusqu’à aujourd’hui permettra sans doute d’entrevoir les grands traits d’un musée en mesure de correspondre à certains attentes et besoins de notre temps.
Mouseion, l’origine grecque du musée
«Musée», mouseion en grec, dérive de «Muse». Ce mot, rarement attesté dans les textes conservés, signifie pour les Grecs le séjour des Muses, un lieu qui leur est consacré ou dans lequel, idéalement, celles-ci se trouvent.
Les Muses, selon la mythologie grecque, étaient les filles de Mnémosyne, une divinité primitive qui incarne la faculté de la mémoire, le «souvenir». Les neuf sœurs se partageaient le patronage de la poésie et de la danse, des arts et des sciences, rendues possibles grâce à Mnémonsyne. Les Grecs croyaient qu’elles habitaient principalement l’Hélicon, une montagne de la Béotie, où, avant d’y être représentées en sculpture au milieu des poètes – comme les avait vues Pausanias, qui visita les lieux du temps de l’empereur Marc Aurèle –, elles se manifestaient par la douceur des bosquets et des sources.
Socrate, d’après le Phèdre de Platon, connaissait un «musée», lieu où les Muses, mêlées aux nymphes des eaux, transmettaient aux philosophes (au sens étymologique du terme, soit «les amis du vrai savoir») la juste appréciation de leurs discours. Ce passage de Phèdre marque la naissance de deux mots capitaux pour l’avenir de la civilisation: musée et philosophe.
Les premiers «Musées»
Le siège, d’abord géographique, des Muses est devenu insensiblement un lieu idéal. Au VIe siècle av. J.-C. déjà, l’école de Pythagore était un «musée», dans le sens d’un «lieu où l’on cultivait la poésie, la musique et les sciences, avec un esprit empreint de respect religieux». Platon en fut influencé lorsqu’il créa l’Académie, en dehors d’Athènes. À son tour, Aristote, élève de Platon, créa le Lycée, lui aussi un «lieu des Muses». La science qu’enseignait Aristote et, à sa suite, son successeur Théophraste, était non seulement faite de spéculation métaphysique, mais aussi de recherches: une science expérimentale. Le maître et l’élève fondèrent la zoologie et la botanique. Les collections sont le résultat de la recherche basée «sur un maximum de cas, d’expériences. Celles-ci se «concrétisent» dans les collections, qui sont l’expression tangible d’un rapport particulier de l’homme au monde, dans lequel il détermine, en la mettant en valeur, sa place et son rapport à celui-ci» (Katharina Flügel). On se rapproche là de ce que nous entendons aujourd’hui normalement par musée, «un lieu où sont rassemblées des collections».
Le Musée d’Alexandrie et sa célèbre bibliothèque
Les successeurs d’Alexandre réalisèrent de façon grandiose ce que les moyens privés ne pouvaient suffire à faire. Ptolémée Ier inaugura Alexandrie d’Égypte en 311 av. J.-C. et il n’eut de cesse qu’elle devînt la capitale culturelle et intellectuelle du monde grec, au dépend d’Athènes. Tout porte à croire qu’il créa le célèbre Mouseion, l’archétype de tous les musées d’aujourd’hui, en en confiant la création à Démètre de Phalère, un disciple de Théophraste. Son fils Ptolémée II aurait ensuite fondé la non moins célèbre bibliothèque d’Alexandrie, indispensable complément de l’œuvre paternelle.
C’était un lieu où les plus grands esprits du temps devaient pouvoir vivre, s’adonner à leurs recherches, échanger, dans une salle de conférence confortable ou assis sur une exèdre en plein air – comme l’indique Strabon, qui décrivit, trop brièvement, le Mouseion du temps d’Auguste –, libres de tous soucis matériels. Tout cela sous le regard bienveillant des Muses, dont le prêtre présidait formellement l’institution. Ces grands savants ne monopolisaient pas le savoir, ils déployaient une importante activité comme enseignants. C’est là que la Bible hébraïque fut traduite en grec – afin qu’elle puisse être lue par les Juifs qui avaient perdu l’usage de l’hébreux et être accessible à un public lettré –, que de grands progrès furent accomplis par l’astronomie et les mathématiques… Les Romains succédèrent aux Ptolémée comme protecteurs du Mouseion. Jusqu’à ce que le christianisme ne prédomine à Alexandrie, à la fin du IVe siècle, cette institution poursuivit ses activités.De nos jours, le mouseion, «école et centre de recherche», revit dans le modèle américain de grandes universités, comme celle de Princeton (New Jersey) par exemple, ou des centres de recherche comme le Dumbarton Oaks Research Library and Collection (Washington D.C.), centre d’excellence pour la connaissance du monde byzantin doté de fonds très importants. Et, plus près de nous, les collections didactiques de l’unité archéologie de l’Université de Genève: fragments de vases grecs, moulages de statues…
(à suivre)