Le choix du cadre: formes et fonctions

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Les dilemmes du cadre réplique: comment encadrer La Capture de Samson de Mattia Preti?

En 2012, le traitement de conservation-restauration du tableau de Mattia Preti, La Capture de Samson (entre 1640 et 1643), est engagé en vue de sa présentation en salle au sein des collections de peinture italienne et espagnole du Musée d’Art et d’Histoire.
Un léger problème se pose: le tableau n’a pas de cadre. Il est uniquement ceint d’une baguette fine en bois foncé et, dans ce cache-châssis, l’œuvre semble s‘arrêter net; le lien entre l’espace réel et celui de la représentation est rompu. Le message dramatique de ce peintre napolitain influencé par le Caravage (1571-1610), son aîné, mais aussi par les grands peintres de son époque comme Guido Reni (1575-1642), Domenico Zampieri (1581-1641) dit le Dominiquin ou Giovanni Francesco Barbieri (1591-1666) dit le Guerchin, est comme suspendu en plein vol.

Mattia Preti, La Capture de Samson, entre 1640 et 1643. Huile sur toile, 220 x 271,5 mm ©MAH, photo: J;-M. Yersin, inv. 1893-0004
Mattia Preti (1613-1699), La Capture de Samson, entre 1640 et 1643. Huile sur toile, 220 x 271,5 mm
©MAH, photo: J.-M. Yersin, inv. 1893-0004

La réalisation d’un cadre s’impose! Longtemps considéré comme le parent pauvre de l’œuvre, en se faisant oublier au profit du sujet-tableau, le cadre se révèle ici l’élément manquant qui doit permettre d’«encadrer» la représentation et organiser le passage entre l’espace représenté et celui du spectateur. Sans cadre, comment le regard peut-il passer du mur à la peinture en douceur? Comment notre œil peut-il faire la mise au point nécessaire afin d’appréhender physiquement l’œuvre et son contenu?

Le choix du cadre

Un cadre, oui, mais lequel? Ancien ou moderne? En bois brut ou polychrome? Ornementé ou simple? Discret ou imposant? Un début de réponse est né de l’observation d’autres tableaux majeurs du peintre, notamment ceux conservés au Musée de Capodimonte à Naples et présentés dans une salle aux murs rouge sang de bœuf: Christ à la monnaie, Saint Sébastien et Saint Jean-Baptiste. Tous trois sont montés dans des cadres noirs et dorés moulurés. Ces encadrements s’inspirent du modèle Salvatore Rosa – peintre napolitain contemporain de Mattia Preti qui, selon la légende, dessinait lui-même ses cadres –, dont le profil alterne formes concaves et convexes rappelant la base d’une colonne dorique. Il peut être épuré, lisse, doré et polychromé, ou agrémenté d’éléments décoratifs sculptés d’oves, de feuilles d’acanthes ou encore de rubans stylisés.

Ce profil fut repris en série afin de mettre en valeur les collections de peinture baroque italienne, notamment dans les célèbres galeries Barberini, Doria-Pamphilj et Spada de Rome¹, et utilisé tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. Par la suite, il fut largement adopté en Angleterre sous le nom de cadre Carlo Maratta². Pour La Capture de Samson, une version simple de ce profil est retenue (voir fig.1).

Profil de cadre de type Salvatore Rosa
Profil de cadre de type Salvatore Rosa

La largeur est ensuite fixée à 14,5 cm, car le cadre doit présenter les proportions justes pour souligner le tableau sans l’alourdir visuellement ou physiquement. Une fois le style et les proportions définies, il est réalisé sur mesure en pin Weymouth abouté et lamellé déjà coupé à l’onglet et prêt pour un assemblage à l’aide de lamello et d’équerres. Afin de garantir une conservation optimale de l’œuvre, nous prévoyons une battue profonde, sur mesure, afin que le châssis du tableau ne dépasse pas à l’arrière du cadre au montage.

Eléments du cadre en cours de préparation
Eléments du cadre en cours de préparation

Travail de dorure et de polychromie

Le cadre est ensuite préparé à recevoir la dorure. Une couche d’encollage à base de colle de peau de lapin diluée dans de l’eau, suivie de huit couches de blanc de doreur composé de colle de peau de lapin et de craie de Champagne ajoutée jusqu’à saturation, sont appliquées à chaud.

Elément de cadre blanchi et prêt à recevoir la dorure
Elément de cadre blanchi et prêt à recevoir la dorure

Après séchage, cette opération est suivie par un ponçage minutieux du papier de verre le plus gros jusqu’au papier de verre le plus fin, de manière à obtenir une surface lisse et douce, dénuée d’imperfections. L’ensemble est ensuite soigneusement dépoussiéré et trois couches d’assiette rouge sont appliquées sur les surfaces destinées à être dorées. Également appelée bol ou bol d’Arménie, l’assiette porte ce nom dans le jargon des doreurs car elle sert à «assoir l’or».

La dorure est posée à l’eau, feuille d’or après feuille d’or, puis polie à l’aide d’une pierre d’agate fixée sur un manche. Cette pierre très dure polit la surface dorée en écrasant les grains d’argile contenus dans l’assiette rouge. L’or est ainsi «bruni». Nous appliquons ensuite trois couches d’assiette noire sur les surfaces destinées à être polychromées. Après séchage, cette surface est satinée grâce au passage d’un pinceau épais et dur appelé le chien.

Elément du cadre en partie satiné avec le pinceau du chien
Elément du cadre en partie satiné avec le pinceau du chien

Le cadre doit enfin être patiné afin de présenter un aspect vieilli qui corresponde à l’œuvre. Une fois encore, il est important de parvenir à un subtil équilibre entre ni trop neuf, ni trop vieux, ni trop visible, ni trop discret. Un fin vernis, composé d’une résine dammar et de fines terres naturelles, est appliqué à la brosse et essuyé à l’aide d’un tissu de coton.

Le cadre : un faire-valoir

Une fois le tableau encadré, la magie opère: l’armure prend un nouveau relief, le sujet traité en clair-obscur mystérieux est souligné. Le cadre reste à sa place et met en valeur l’œuvre sans lui voler la vedette.

La Capture de Samson de retour dans les salles du MAH
La Capture de Samson de retour dans les salles du MAH

La réalisation d’un cadre réplique comme celui-ci est le fruit de longues réflexions et de nombreuses concertations entre les métiers de conservateur-restaurateur et d’historien de l’art. En réunissant ainsi les savoirs historiques et techniques, les propositions pour un encadrement idéal trouvent une réponse cohérente et conforme à l’histoire du goût.

Ainsi, le cadre réplique ne change pas la qualité d’une œuvre. Choisi avec soin en tenant compte du style de l’œuvre, de son origine, de son époque et de ses dimensions, il rétablit ce qui faisait défaut à la Capture de Samson avant son traitement: un équilibre harmonieux entre le tableau et son environnement.

Le vendredi 20 avril 2018 est organisée, au MAH, une journée d’étude de la conservation-restauration consacrée à Ferdinand Hodler. Entré libre le matin pour une série de conférences, et visites des ateliers sur réservation l’après-midi.

1. Michael Clarke et Deborah Clarke, The Concise Oxford Dictionnary of Art Terms, Oxford University Press, 2010
2. Deborah Davis, The secret lives of frames, Filipacchi, 2006

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