Le chocolat, une nouvelle vanité
Après avoir fait l’objet d’appétissantes natures mortes et inspiré d’originaux supports publicitaires, le chocolat au XXe siècle investit la sphère de la création. Malléable et périssable, il devient un matériau artistique à part entière.
Temporalité et transformation apparaissent ainsi dans plusieurs œuvres réalisées par le Suisse Olivier Mosset et en partie inspirée par le chocolat. Dans sa pratique de la sculpture, Mosset travaille avec des formes ready-made, généralement issues de constructions utilitaires, comme par exemple des cimaises ou des obstacles anti-chars. Construits durant le Seconde Guerre mondiale dans le but d’empêcher une éventuelle invasion allemande et connus sous le nom de Toblerones en raison de leur ressemblance avec le chocolat à forme triangulaire, ces blocs en béton sont des éléments célèbres du paysage roman. L’artiste conçoit ces sculptures dans différents matériaux, dont la glace. L’instabilité est alors partie intégrante de l’œuvre.
Le processus de fonte, qui affecte chaque Toblerone différemment, modifie sa forme mais également sa couleur. Sérielle au départ, chaque sculpture devient alors une pièce unique.
Une boîte de chocolats commémorative
En 2004, Mosset est invité par l’espace d’art contemporain genevois Forde à participer à une œuvre collective: un ensemble de bougies imaginées par quatorze artistes pour commémorer les dix ans du lieu. Le carré de Toblerone qu’il propose est extrêmement réaliste car fabriquée en paraffine noire, comme les treize autres objets du projet (fig. 1 et 2). Ici, le potentiel de destruction de l’œuvre est plus symbolique, puisque l’on imagine mal un.e collectionneur.euse allumer la mèche…

14 bougies en paraffine noire à mèche blanche, chacune disposée dans une boîte à sa mesure en carton toilé noir.
Coffret: 154 x 584 x 684 mm © MAH, inv. E 2004-0228

Paraffine noire, mèche blanche © MAH Inv. E 2004-0228-010
Le chocolat, un matériau artistique
Lorsque Mosset réalise ses Toblerones, le lien entre chocolat et impermanence a déjà une histoire artistique. C’est au début des années 1960 que le chocolat fait son entrée en force dans l’art contemporain, à la fois comme motif indépendant et comme matériau. La plupart des artistes qui travaillent avec ou sur le chocolat sont liés à des mouvements qui prônent une plus grande proximité entre l’art et la vie quotidienne, tels que Fluxus, le Nouveau Réalisme ou le Pop Art.
La nature éphémère de la nourriture fut un des éléments qui poussa l’artiste suisse Dieter Roth (dont le MAH possède une douzaine d’estampes) à intégrer des matières organiques dans son travail. De tous les artistes ayant utilisé du chocolat, Roth a certainement eut la pratique la plus riche, bien que limitée à courte période allant de 1964 à 1971. Le chocolat apparaît dans son œuvre gravé, dans ses tableaux, sous forme de sculptures et d’installations. Roth aimait créer avec ce matériau à cause de son odeur agréable, de la facilité avec laquelle il pouvait le façonner et surtout pour sa capacité à illustrer le temps qui passe en changeant irrémédiablement d’apparence avec les années. Portrait of the Artist as Vogelfutterbuste de 1968, c’est-à-dire son buste en mangeoire à oiseau (fig. 3), est certainement son œuvre en chocolat la plus emblématique. Le titre de la sculpture est une référence au premier roman de James Joyce A Portrait of the Artist as a Young Man (Portrait de l’artiste en jeune homme), publié en 1916, dans lequel l’auteur raconte ses souffrances d’enfance et de jeunesse ainsi que de la naissance de sa vocation artistique. Roth trouvait cet ouvrage excessivement sentimental voire kitsch. Si à l’époque il n’avait que 38 ans, il décida en réaction de se représenter en vieille homme chauve, dans un matériau destiné à se détériorer: du chocolat et des graines pour oiseaux.
Dieter Roth a également utilisé la faculté du chocolat – denrée périssable – à évoluer, pour remettre en cause les catégories d’œuvre unique et de multiple et pour introduire un élément de hasard dans ses compositions. En effet, il réalisa une trentaine de buste sur le modèle du premier qui, aujourd’hui, ont tous une apparence quelque peu différente selon la manière dont ils ont été conservés ou le type d’insectes qui leur ont rendu visite. Ces transformations en font des objets autonomes, libérés de l’emprise de l’artiste et où la nature joue le rôle de créateur. Ces autoportraits multiples étaient livrés avec une plateforme et un manche à balais. Ils étaient supposés être exposés en plein air et disparaître petit à petit.

Figurine coulée en chocolat mélangé avec des graines pour oiseaux sur une plinthe en bois, 23.0 x 25.0 x 23.0 cm.
Collection Pictet © Dieter Roth Estate, courtesy Hauser & Wirth
L’utilisation de matières périssables pour la confection de son portrait était évidemment très ironique puisqu’elle allait à l’encontre de l’idée de pérenniser l’image de l’artiste. Néanmoins, bien qu’il ne possède que peu de ressemblance physique avec son auteur, ce buste partage la même vulnérabilité au travail du temps qui le rend plus «vrai» que toute autre forme de portrait. L’impermanence était une idée importante pour Roth qui tenait à ce que ses œuvres soient de constants rappels du temps qui s’écoule. Comme il l’a déclaré: «Les objets que j’ai fabriqués en chocolat ou en matériaux similaires, doivent – ou devraient – se dissoudre, s’user, se décomposer, être mangés, détruits, mis en pièces, éraflés, etc. C’est bon pour eux et pour nous.»
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