Il y a quelques mois, le Musée d’art et d’histoire mettait à la disposition de l’OSR une viole d’amour de sa collection pour la production de Mme Butterfly de Puccini au Grand Théâtre de Genève. La rédaction d’un texte pour présenter ce bel instrument dans le programme a généré une véritable enquête pour en percer les mystères…
En 1904, Giacomo Puccini intègre dans Mme Butterfly un chœur à bouche fermée soutenu par une viole d’amour. Cet instrument du XVIIIe siècle est utilisé ponctuellement par quelques compositeurs des XIX, XX et XXIe siècles, notamment dans des opéras, comme Janáček dans Katia Kabanova en 1919. Mais, par commodité, on passe souvent outre les indications du compositeur, stipulant sur la partition l’emploi de cet instrument du passé, pour le remplacer, par exemple, par un alto. L’Orchestre de la Suisse romande, pour les représentations de Mme Butterfly au printemps 2013 au Grand Théâtre de Genève, a toutefois choisi de respecter la volonté du compositeur et s’est tourné vers le musée pour se procurer l’instrument approprié.
Amour et sympathie
La viole d’amour est un instrument à cordes frottées, attesté depuis la fin du XVIIe siècle, dont les sonorités sont réputées proches de la voix humaine. Elle est entourée de nombreux mystères. Son joli nom est le premier. S’il est qualifié de viole, à qui il emprunte la construction de sa caisse avec son fond plat, ses hautes éclisses et sa table voûtée, il se joue au bras, comme le violon et ne possède pas, comme lui, de frettes.
L’épithète «d’amour» viendrait du jeu de cordes métalliques passant au travers du chevalet et vibrant par sympathie avec les cordes mélodiques de boyau frottées par l’archet… Mais, au XVIIIe siècle, de nombreux instruments sont dits «d’amour» en raison de la douceur de leur timbre, sans ce phénomène de «sympathie». Du reste, toutes les violes d’amour ne possèdent pas deux jeux de cordes!
Le nom pourrait aussi venir de leur chevillier, souvent orné d’une tête sculptée représentant un putto ou une femme aux yeux bandés symbolisant l’amour aveugle. Ou encore d’une déformation de l’appellation «viole des maures», en référence à des instruments turques portant également des cordes sympathiques.
De BG 0035 à «Butterfly»
Si le musée compte huit violes d’amour à l’inventaire, elles ne sont pas toutes en état de jeu immédiat. Après une visite dans les dépôts, le choix s’est porté sur la pièce BG 0035 qui, malgré sa corde cassée et son montage distendu, révéla tout de suite de merveilleuses sonorités.
Une fois les cordes changées, il restait à l’altiste en charge de l’accompagnement du chœur à dompter cet instrument nouveau pour lui. Car si la taille et la longueur vibrante de la viole d’amour sont voisines de l’alto, passer de 4 à 7 cordes et d’un accord en quinte à un accord en tierce et quarte nécessite quelques adaptations!
En parallèle, le musée a profité de l’occasion pour tenter d’en savoir plus sur BG 0035, tendrement rebaptisée «Butterfly».
Quelques éléments d’enquête
L’intérieur de la caisse porte une étiquette libellée Antonio Ciciliano in Venetia en lettres gothiques.
La fiche d’inventaire signalait Liciliano comme nom de facteur, mais un inventaire manuscrit antérieur confirmait bien Ciciliano – le L et le C sont très voisins dans la graphie gothique. Si aucun Liciliano n’est mentionné dans les principaux dictionnaires de luthiers, le vénitien Ciciliano est en revanche bien connu. Plusieurs de ses violes sont parvenues jusqu’à nous, notamment un ténor, conservé aujourd’hui au Museo Civico Medievale à Bologna (inv. n 1761) ou une basse et un ténor au Kunsthistoriches Museum de Vienne (inv SAM_70 et 72).
Des documents d’archives, renforcés par des datations dendrochronologiques, placent l’activité de ce luthier durant la seconde moitié du XVIe siècle, soit un siècle avant l’apparition des premières violes d’amour! L’étiquette est évidemment apocryphe… Un phénomène assez fréquent qui demande de remettre en question la provenance présumée de notre instrument.
Celui-ci possède une caisse chantournée, des ouïes flammées et un vernis jaune-orangé fréquent dans les exemplaires fabriqués au sud de l’Allemagne au XVIIIe siècle. Cette région, où la facture de la viole et du violon s’influencent mutuellement, semble être la terre d’origine de notre viole d’amour. «Butterfly» a la particularité de posséder un dos voûté et des éclisses rentrées, c’est-à-dire que la table et le dos dépassent légèrement, comme pour les violons. Une hybridité marquée qui fait pencher pour une origine bavaroise.
La facture, très soignée, de cet instrument possède des particularités qui, lors d’investigations plus poussées, permettraient peut-être d’en préciser le facteur… Une viole d’amour à dos bombé existe-t-elle dans d’autres collections? Une rapide recherche n’a pour l’instant pas révélé d’équivalent. Autre aspect particulier de la facture: le clou métallique planté depuis l’intérieur de la caisse dans le talon du manche. Encore un indice auquel il faudrait trouver des équivalents.
Quel luthier, actif à Mittenwald ou à Füssen au XVIIIe siècle, aurait pu faire référence à un collègue vénitien du siècle précédent tout en dotant son bel instrument d’une tête de femme – aux yeux parfaitement visibles – -d’un raffinement très français?