L’apport persistant de Wagner dans l’art contemporain

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Depuis le 26 septembre et jusqu’au 5 novembre, le Wagner Genava Festival explore l’œuvre de Richard Wagner à travers danse, musique, théâtre ou arts plastiques. Au Musée d’art et d’histoire, dans les salles beaux-arts, L’œuvre d’art de l’avenir ou le temps dilaté, à voir du 11 octobre 2013 au 12 janvier 2014, s’inscrit dans ce cadre.

En 2005, le Musée d’art et d’histoire organisait la première exposition mettant en perspective, de manière globale, la résonance de l’œuvre de Richard Wagner dans les arts visuels. Née de la passion de Paul Lang, alors conservateur responsable du département des beaux-arts, Richard Wagner. Visions d’artistes réunissait des œuvres allant des années 1850 jusqu’à la période contemporaine. En cela, elle démontrait la persistance et l’étendue de l’iconographie et de l’esthétique wagnériennes comme source d’influence chez les artistes.

Lorsque Jean-Marie Blanchard, directeur du Wagner Geneva Festival, a proposé au Musée d’art et d’histoire de participer à cette initiative, nous ne pouvions donc que répondre avec enthousiasme. Ayant déjà traité le sujet de manière quasi exhaustive, il nous fallait cependant trouver un angle nouveau pour évoquer les liens entre l’œuvre du compositeur allemand et les beaux-arts. Pour cela, nous avons fait appel à Denis Pernet, commissaire d’exposition indépendant. Ce dernier avait en effet déjà abordé brillamment les liens entre opéra et art contemporain dans son exposition Maison opéra, présentée en 2012 au Bac à Genève, dans le cadre du Festival Électron.

Pour le projet au MAH, Denis Pernet a choisi comme thématique l’impact de la dilatation de la temporalité, issue des créations wagnériennes, sur les artistes contemporains. L’exposition L’Œuvre d’art de l’avenir ou le temps dilaté, qui emprunte la première partie de son titre à l’essai que Wagner écrit à Zurich en 1849, réunit des œuvres réalisées entre 1969 et 2012.

Le cinéma expérimental de Gregory Markopoulos

Sorrows (1969), le film du cinéaste expérimental Gregory Markopoulos (1928, Toledo, Ohio, USA – 1992, Fribourg-en-Brisgau, Allemagne) est la seule œuvre de cette exposition à faire directement référence à Wagner. Ce film de six minutes a pour sujet la villa de Tribschen, demeure lucernoise qu’occupe le compositeur de 1865 à 1872 lors de sa seconde expatriation en Suisse. Markopoulos est alors familier du thème de l’exil puisqu’en 1967 il a volontairement quitté les États-Unis – où il a interdit la diffusion de ses films – pour s’installer, comme Wagner un siècle plus tôt, en Suisse.

Gregory Markopoulos, Sorrows, 1969, Film 16 mm, 6 minutes, © Temenos Archive, Zurich

Sorrows est un film monté à la caméra, qui présente jusqu’à sept surimpressions de la même pellicule réalisées au moment de la prise de vue, en rembobinant à chaque fois le film dans la caméra. Dès les années 1940, le cinéaste propose une nouvelle forme narrative filmique en fusionnant l’art du montage classique avec un système plus abstrait. Il s’intéresse à la synesthésie – soit la correspondance et la confusion de plusieurs sens –, une étude qui occupa également certains artistes romantiques au XIXe siècle, dont Wagner. Dans ce qui peut s’apparenter à une expérience d’art total, le dernier opus de Markopoulos, Eniaios (1948-1990), est une œuvre composée de vingt-deux cycles de films muets conçue pour une projection en plein air en Arcadie (Grèce), sur plusieurs semaines, avec près de quatre-vingts heures de projections. Cette fusion entre l’expérience de l’œuvre d’art, le public et un lieu géographique précis peut être considérée comme une extension de ce que Wagner souhaitait avec la Tétralogie pendant le Festival de Bayreuth.

Les soap-opéras de Robert Ashley

Le compositeur, performeur et artiste Robert Ashley (*1930 Ann Arbor, Michigan, USA) produit Perfect Lives entre 1977 et 1983 comme un opéra pour la télévision. Basé sur la vie quotidienne, il prend la forme d’un soap-opéra (feuilleton télévisé d’origine américaine) découpé en sept épisodes. À l’instar de Wagner, Robert Ashley en écrit le texte et la musique. Perfect Lives fait partie d’une trilogie, avec Atalanta et Now Eleanor’s Idea, qui maintient le même rythme de septante-deux battements par minute sur l’ensemble. Le déploiement d’une seule thématique, d’un rythme unique et la récurrence des personnages, de surcroît sur une durée aussi longue, rappelle l’ambition de Richard Wagner de bâtir L’Anneau du Nibelung sur quatre journées et plus de seize heures de musique.

Robert Ashley, Perfect Lives, 1977-1983, Opéra pour la télévision en 7 épisodes, Vidéo, 174 minutes, © Lovely Music, Ltd.

L’album le plus long du monde de Terre Thaemlitz

Terre Thaemlitz (*1968, Minnesota, USA) est un producteur de musique, théoricien, conférencier et DJ américain établi au Japon. Son projet récent, Soulnessless (2012), contient le plus long album de musique du monde réalisé à ce jour. Présenté sous la forme d’une micro-puce de 16 Go, le morceau, interprété au piano, exploite la durée maximale du format MP3, c’est-à-dire 29 heures et 42 minutes de musique. Avec cette œuvre, Thaemlitz critique la pression exercée sur les artistes de qui l’on exige toujours plus pour le même tarif.

Le projet, bien que joué en acoustique, est avant tout une œuvre d’art digital. Néanmoins, il n’est pas disponible sur Internet et n’existe que sous sa forme matérielle de puce de mémoire électronique disponible à la vente. Ainsi, l’artiste interroge les habitudes de consommation de l’auditeur actuel, de même que notre rapport au temps travaillé et à sa rémunération. Ces questions n’ont jamais été esquivées par Richard Wagner puisqu’il imagine dans son manifeste L’Œuvre d’art de l’avenir les conditions économiques nécessaires à la survie et l’épanouissement de l’artiste.

La pièce de Thaemlitz cite aussi de manière indirecte les expériences de durées extrêmes dans l’histoire de la musique comme, par exemple, chez Erik Satie, Vexations, 1893, entre 14 et 24 heures selon le tempo, ou chez John Cage, Organ²/ASLSP (As SLow aS Possible), 1985, actuellement joué depuis 2001 pour une durée de 639 années. Ces dernières sont elles-mêmes héritières de la dilatation de la temporalité dans l’œuvre de Wagner, en particulier dans L’Anneau du Nibelung.

Texte inspiré des écrits de Denis Pernet

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