La montagne en perspective

Les Alpes vues sous différents angles

Depuis le 23 septembre au MAH, La montagne en perspective propose un dialogue entre des œuvres iconiques et insolites autour du thème de la montagne. Ce dernier, fort apprécié en Suisse et largement diffusé par de nombreuses expositions, est abordé ici de façon volontairement singulière en proposant un ensemble d’images des Alpes sous différents angles de vue, souvent surprenants. Ces diverses perspectives ont généré, et génèrent encore aujourd’hui, des œuvres variées, curieuses, qui reflètent la diversité fascinante de ce genre pictural. Gros plan sur quatre œuvres présentées dans cette exposition.

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Les Coupeuses d'herbe

Les coupeuses d'herbe

Louis Patru (1871-1905) Les Coupeuses d'herbe, vers 1905. Huile sur toile, 149,5 x 98,5 cm. Achat avec l’aide de la Fondation Diday, 1905 ©MAH, photo: B. Jacot-Descombes, inv. 1905-0044

À l’équilibre sur un pan escarpé et tournant le dos au vide, une femme fauche de l’herbe à l’aide d’une serpe. Debout face à elle, la main gauche sur la hanche, indifférente à la pente qu’elle surplombe et au vent qui agite son foulard, son accompagnante l’observe. Tenant sa serpe au bout de son bras droit, elle semble prête à prendre le relais. Tout ici dit le vertige: du choix de la vue en contreplongée à la lumière qui frappe certains nuages pour en laisser d’autres dans l’ombre, et des roches abruptes du premier plan aux cimes que l’on devine au loin. C’est pourtant sans grandiloquence que le peintre rend hommage aux montagnardes, ces femmes qui savent que vivre à la montagne est affaire de tâches saisonnières et de soins à prodiguer. Cette herbe qu’elles recueillent à la fin de l’été porte aussi le nom de foin de rocher, ou foin sauvage: riche en nutriments, il sert au fourrage du bétail et à l’entretien des pâturages. Mais faucher ras, c’est aussi réduire la force des avalanches en retardant la croissance de hautes herbes qui, pliées par la pluie et le vent à l’automne, offriraient aux masses neigeuses une surface lisse et glissante en hiver.

Vue circulaire des Montagnes qu'on découvre du sommet du Glacier de Buet

Marc-Théodore Bourrit (1739-1819) Vue circulaire des Montagnes qu'on découvre du sommet du Glacier de Buet, 1779.

Marc-Théodore Bourrit (1739-1819) Vue circulaire des Montagnes qu'on découvre du sommet du Glacier de Buet, 1779. Planche tirée de Horace Benedict de Saussure, Voyages dans les Alpes, 27 x 22,5 cm ©Bibliothèque de Genève, inv. Fb 280/1, pl. VIII[/caption]

En 1776, le peintre Marc-Théodore Bourrit accompagne le naturaliste Horace Bénédicte de Saussure dans son ascension du Buet. Arrivés au point culminant, ils admirent autour d’eux le réseau dense des vallées encaissées ainsi que l’horizon dentelé des cimes, des aiguilles et autres reliefs. Grâce à ses mesures, Saussure démontre pour la première fois que le Mont-Blanc est le massif le plus élevé des Alpes et souhaite le transcrire sur une image. Les deux complices imaginent une vue circulaire pour exprimer au mieux la prééminence du Mont-Blanc et le spectacle sous leurs yeux. Ils y placent au centre deux petits observateurs, probablement reflets d’eux-mêmes, afin d’attester leur présence sur le site et la véracité scientifique des relevés, mais aussi afin d’inviter le spectateur à embrasser l’image du regard dans mouvement rotatif, comme ils ont pu le faire. Cette vue inédite et insolite, quasi organique, publiée trois ans plus tard, sera une petite révolution dans l’imagerie de la montagne.

Le Mont-Blanc vu de Sallanches au coucher du soleil

Le Mont Blanc vu de Sallanches au coucher du soleil, 1802.

Pierre-Louis De la Rive (1753-1817), Le Mont Blanc vu de Sallanches au coucher du soleil, 1802. Huile sur toile, 129 x 169 cm. Achat, 1969 ©MAH, photo: Y. Siza, inv. 1969-0022

Si cette vue nous semble aujourd’hui banale, tel n’est pas le cas en 1802 lorsque De La Rive s’attaque à son sujet. C’est même l’aboutissement d’un examen patient du Mont-Blanc, entrepris lors de courses dans la vallée de l’Arve dès la fin des années 1780. Bien que déjà souvent représenté le Mont Blanc n’occupe pas encore cette place de protagoniste que le peintre lui attribue dans son œuvre qu’il trouve lui-même «imposant, bizarre, triste, et très difficile». Par ailleurs, en éclairant l’objet le plus éloigné – la montagne – et en plongeant le premier plan dans l’ombre, il a, dit-il encore «renversé toutes les règles». Mais le tableau rencontre un succès rapide et, dans son sillon, nombre de peintres vont désormais faire le choix de peindre le Mont-Blanc depuis la rive droite du Léman. D’autres en revanche tenteront de renouveler le thème en posant leurs chevalets dans les Alpes valaisannes, ou sur le sommet du Brévent à Chamonix. Le Mont-Blanc devient ainsi sculpture qu’il s’agit de fixer sur la toile de tous côtés pour en saisir son impressionnante totalité.

Aletsch Negative

Laurence Bonvin (1967), Aletsch Negative, 2019.

Laurence Bonvin (1967), Aletsch Negative, 2019. Court métrage d’animation à partir de photographies (réalisation et production: Laurence Bonvin, son: Bojan Milosevic), 12 minutes. Prix du meilleur film suisse décerné par le Groupement Suisse du Film d’animation, septembre 2020 ©Collection de l’artiste

Aletsch, le plus grand glacier des Alpes et profond d’environ 900 mètres, est voué à disparaître à la fin du siècle; seuls quelques fragments subsisteront probablement d’après les géologues. Laurence Bonvin s’est emparée de cette prévision pour créer une œuvre qui offre une expérience intime et sensorielle ― visuelle, sonore et quasiment physique. Loin de magnifier la splendeur extérieure de ce géant de glace, elle en photographie les entrailles et dévoile le saisissant processus de fonte. Désirant se rapprocher du mouvement de la glace, elle réalise pour la première fois un film d’animation à partir de ses photographies, en négatif de sorte à inverser le clair et le sombre. Aletsch Negative procède d’un lien étroit entre la photographie et l’image en mouvement: «l’instant figé est multiplié pour créer l’illusion du mouvement, une sorte d’analogie de la transformation de la glace en eau vive», explique l’artiste. Allant crescendo, du murmure aux craquements, le son amplifie l’impression organique de cette décomposition.

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