Si le trophée du GPHG dessiné par Roger Pfund et inspiré par la « création d’Adam » de Michel Ange valorise la main, il efface le rôle de l’instrument, prolongement des doigts du créateur : les outils, objets d’art premier, prennent donc place dans les vitrines du Rath pour évoquer la mécanique alliée à la force humaine.
La Main & L’Outil
Le Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève présente au Musée Rath, pendant l’exposition des montres sélectionnées pour le Grand Prix d’horlogerie annuel, une sélection d’outillages pour illustrer la synergie existant entre le travail manuel et celui de la machine et mettre en évidence une complémentarité qui a toujours existé dans les métiers de l’horlogerie.
Séculaires, les métiers de l’horlogerie marient les gestes, transmis de génération à génération, aux technologies qui prolongent la dextérité de la main, habile et inventive ; l’outil, intuitif et savant, est nécessaire. Aujourd’hui, la main apparaît comme un symbole fort de l’horlogerie et des métiers d’art, inscrits au patrimoine immatériel de l’Unesco.
Dès 1792, l’Horloger du Roi et de la Marine Ferdinand Berthoud, co-auteur de l’Encyclopédie, écrit: « Les mains commencent, les outils aident, les instruments [de mesure] perfectionnent & les machines abrègent le temps [de confection] ».
Or, si l’outil se prête à la manipulation, la machine est liée à l’action automatique. Le machinisme industriel du XIXe siècle sous-tend le développement de l’horlogerie moderne : la machine simplifie et diminue la main d’œuvre de l’atelier de fabrication.
Aujourd’hui, l’horlogerie vante le « travail main » et promeut la « manufacture » : mais derrière les gestes manuels, il y a aussi des machines-outils. De moyen ou grand format, l’outil perce, taraude, découpe, fraise, tord, produit de minuscules composants, des éléments de mécanique ou des décorations.
Découpage, creusure, décolletage, taillage, sertissage, polissage…. Chaque fourniture exige ses machines : échappements, engrenages, balanciers, spiraux, ressorts, pierres, chainettes… mobilisent les outils à planter, à pointer, à tailler, à raboter, à planter et replanter, les perce-droit, équarrissoir, estrapade, compas, micromètre, huit-chiffre, compas, machine à compter les spiraux … La fabrication et les finitions de l’habillage, avec les cadrans, aiguilles, boîtes, verres tour à tour polis, guillochés, bleuis, émaillés… Aujourd’hui, dans le haut de gamme, nombre de surfaces sont reprises, corrigées et décorées (anglage, perlage, colimaçonnage, poli miroir…). Chaque geste s’effectue avec des outils connus depuis longtemps : limes, cabrons, forets, brunissoirs ou tourets à polir… Les outillages liés à la gravure et à l’émaillerie sont notamment éclairants sur l’aspect culturel de la transmission, avec des outils inchangés depuis des centaines d’années.
La relation du praticien avec l’outillage rime avec respect et soin. Car l’apprentissage horloger commence non seulement par la manipulation mais aussi par la réalisation des outils : pour apprendre à travailler les métaux, l’apprenti réalise des outils simples. En fabriquant ses rivoirs, ses broches, burins ou limes et son propre micromètre, il apprend la précision de la mesure et la valeur du travail bien fait. La layette qu’il garnit le suit dans son parcours. Le tour reste propre, les burins sont montés de telle manière, la potence rangée avec tel tasseau. Ordre et discipline règnent dans les ateliers.
Les outils anciens conservés dans nos musées sont toujours présents dans certains ateliers et manufactures : leurs formes ont peu changé, leurs actions diffèrent à peine. Artisans, concepteurs, artistes, créent avec eux. De fait, aucun d’entre eux n’est totalement obsolète. Au cœur de la collection patrimoniale, ils sont non seulement témoins d’histoire, mais également objets d’art et alimentent les volets encore peu explorés de l’histoire du geste et de l’histoire matérielle. Ils traduisent les pratiques du passé, les nécessités et les modes de la production, autant que l’évolution de la technique et des processus de fabrication. Ils sont les témoins qui parlent du « fait avec la main » et surtout des savoir-faire.