MYSTÈRE. Le MAH possède des œuvres parfois mystérieuses. Qu’il s’agisse de leur origine, de leur «fonction», de leur fabrication, elles intriguent et posent des questions. Les scientifiques en charge de leur étude et de leur conservation doivent parfois mener l’enquête. Nous vous proposons donc de retrouver régulièrement, sur ce blog, des articles qui mettent en lumière ces recherches et ces questionnements qui se transforment, parfois, en aventures rocambolesques. (FJ)
Un triscenorama redécouvert
Une question récemment posée par une chercheuse a permis de mettre en lumière une œuvre unique au sein des collections du Cabinet d’arts graphiques. Il s’agit d’un triple portrait de Luther, Zwingli et Calvin, dont chaque effigie est perceptible selon un point de vue précis.
L’iconographie de ce curieux objet reprend l’imagerie traditionnelle de chacun des trois Réformateurs, établie au cours du XVIe siècle et pérennisée par la gravure et par la copie. Chacune des effigies est exécutée au crayon de graphite et à la gouache sur une feuille de papier collée en plein sur un carton. Des rehauts à l’encre de Chine modèlent le drapé du manteau de Luther grâce à la profondeur de leur noir et à leur légère brillance. Les autres portraits, réalisés selon la même technique, ont été soigneusement découpés et collés de part et d’autre de trente lamelles de carton. Celles-ci ont été insérées dans un cadre de bois tous les centimètres. La «grille» ainsi constituée est placée perpendiculairement au dessin de fond, et le tout est monté dans un cadre.
Privés de renseignements quant à sa provenance, on suppose que cet objet a été crée au XIXe siècle en Allemagne, où l’on connaît d’autres exemples de cette même «trinité protestante» – un musée privé allemand présente toutes sortes de jeux optiques, notamment une pièce similaire à celle du MAH.
Les plus anciens exemples connus de ce type d’œuvres, appelées triscenoramas, Lamellenbilder («images en lamelles»), Harfenbilder («images en harpe») ou encore Wechselbilder «tableaux changeants», datent du milieu du XVIIIe siècle et sont originaires de l’espace germanique.
Les Riefelbilder («images cannelées») apparaissent au siècle précédent; composées de supports de section triangulaire, elles ne présentent que deux images.
Ces «images en lamelles» s’apparentent aux anamorphoses, dont le CdAG conserve quelques très beaux exemples par William Kentridge et Pierre Soubeyran et aux autres jeux optiques dont la popularité s’est accrue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Peints d’abord sur bois, carton ou papier, les triscenoramas profitent des progrès de la reproduction et de la diffusion des images autour de 1800, et se voient fréquemment composés à partir d’estampes. Leur iconographie est souvent religieuse, tant réformée que catholique (la Sainte Trinité constitue un sujet idéal pour ce genre d’objet). Les portraits politiques sont également nombreux et, à notre époque, certains artisans proposent des réalisations à partir de photographies familiales. Objets de piété populaire autant que de curiosité, leur caractère insolite a sans doute pour but d’attirer l’attention et de renforcer la portée symbolique de l’objet, dans le cas présent les différentes facettes d’une même pensée religieuse.