L’artiste suisse devenu maître d’une technique ancestrale
Jean Dunand (1877-1942), artiste d’origine suisse marquant du mouvement Art Déco, est particulièrement réputé pour ses œuvres en laque. Depuis l’époque moderne, cette technique asiatique ancestrale fascine les Occidentaux qui cherchent à l’imiter, notamment car les objets laqués d’Extrême Orient sont très onéreux. À titre d’exemple, le Musée d’art et d’histoire présente dans ses salles une commode française du XVIIIe siècle réalisée à partir de panneaux de laque chinoise et d’imitation de laque française.¹
Un apprentissage dans les règles de l’art
Jusque-là réputé pour ses objets en dinanderie (cuivre) et son travail du métal, Jean Dunand commence à s’intéresser à la technique de la laque lorsqu’il remarque que les vases métalliques japonais qui lui sont confiés pour restauration ont une surface laquée, à la fois protectrice et décorative. Il entre en contact en 1912 avec Seizo Sugawara (1884-1937), artisan laqueur venu à Paris avec la délégation japonaise de l’Exposition universelle de 1900, qui a déjà formé à l’art de la laque Eileen Grey (1878-1976) designer irlandaise avec laquelle il a ouvert un atelier en 1910. Celui-ci est intéressé par les techniques de dinanderie de Dunand et c’est donc un échange de leçons qui s’instaure. Pendant deux mois, Sugawara donne 13 leçons dans l’art de la laque à Jean Dunand, qui décrit dans ses carnets les différentes préparations de la laque, les outils nécessaires (dont des brosses en cheveux humains), les procédures de travail, les diverses techniques décoratives…
La laque est extraite de deux arbres, Rhus succedanea natif d’Indochine et le Rhus vernicifera (Vernis du Japon) qui pousse au Japon et en Chine. Divers processus permettent d’obtenir de ces arbres des laques de qualité et de consistance différentes qui sont ensuite enrichies de pigments colorés ou d’autres matières (argile, fibres végétales…) selon l’effet recherché, ou laissées pures. Le procédé du laquage consiste à alterner différentes couches de laque sur un support. Après chaque application, la laque doit sécher et durcir, entre 2 et 15 jours, dans une chambre humide, puis être poncée avant la pose d’une autre couche. Les échantillons sur planche de bois réalisés par Sugawara et Dunand pendant ces leçons témoignent d’une opération en 30 étapes (15 couches de laque et autant d’opération de séchage et polissage) pour obtenir une simple surface unie de laque noire. Le temps et la main d’œuvre qualifiée nécessaires expliquent le coût élevé des objets en laque. Les réalisations de Jean Dunand sont donc des objets de luxe, particulièrement ses grands paravents.
L’art de la laque selon Jean Dunand
Dunand utilise d’abord la laque comme revêtement pour ses dinanderies puis rapidement expérimente sur toutes sortes de matières et de surfaces: bijoux, textiles, portraits peints… se jouant des matériaux et produisant des effets nouveaux avec cette technique ancienne. Durant la Première Guerre mondiale il expérimente même avec la laque pour renforcer et protéger les hélices en bois des avions de combat. Son succès encourage le gouvernement français à créer la Société des laques indochinoises à Boulogne-sur-Seine en 1917.
Après la guerre, Jean Dunand installe un studio de laque dans ses ateliers et y fait travailler des ouvriers-laqueurs indochinois. D’une part car ils maîtrisent déjà cette technique, et d’autre part car les Asiatiques, à la différence de la plupart des Européens, ne font pas de réaction allergique à l’urushi (la laque naturelle). Il expose pour la première fois un panneau d’après une esquisse de Henry de Waroquier, au Salon des artistes décorateurs de 1921, et rencontre un immense succès. Rapidement, plusieurs studios fonctionnent au sein de ses ateliers dont l’un spécialisé dans l’application de la feuille d’or et de la poudre sur les surfaces fraîchement laquées. Cela lui permettra de faire face à sa plus grande commande, le décor du paquebot Normandie. Mais c’est une autre histoire…
¹Voir l’article de Pierre Boesiger, « Étude d’une commode française en laque rouge décorée de scènes chinoises », in Genava, 63, 2015, pp. 75-80