De Achille à Calame ou Vallotton
La collaboration du MAH avec ses nombreux partenaires culturels n’est pas seulement une plus-value pour les publics qui bénéficient ainsi de concerts, performances dansées ou autres visites à deux voix. Elle l’est aussi pour les collaborateurs du musée, particulièrement l’équipe de médiation qui se voit stimulée par le regard et les projets des autres. Ainsi, quand l’Ensemble Contrechamps propose des concerts de chambre autour de la théorie des humeurs, l’idée d’une visite en musique sur ce thème auquel nous n’avions jamais pensé a germé pour devenir réalité le dimanche 8 mars.
De l’Irascible à la colère d’Achille
Cette visite s’est déroulée après que le musée a accueilli les solistes de Contrechamps pour un concert intitulé L’Irascible explorant ce comportement colérique associé à la bile jaune, au feu, à la jeunesse ou encore à l’été. L’après-midi, la visite en musique a débuté par l’observation du torse d’Achille, fragment du groupe hellénistique Achille et Penthésilée. Le guerrier grec a porté le coup fatal à la reine des Amazones qui expire dans ses bras. Bouleversé par la beauté de sa fière adversaire, le héros en tombe amoureux. Un sentiment dont se moque le perfide Thersite, aussitôt victime d’un accès de colère du bouillant Achille, l’archétype de l’irascible. D’ailleurs, l’Iliade s’ouvre sur ces mots: «Chante, Muse, la colère d’Achille.» Cette colère-là est dirigée contre Agamemnon qui lui prend sa captive et concubine Briséïs et qui l’éloigne des combats. L’impétueux Achille calme par ailleurs ses ardeurs en jouant de la lyre. Une occupation suffisamment rare chez les gens d’armes pour être signalée par Homère. Au pied des murailles de Troie, la musique adoucit aussi les mœurs! Ce départ dans les salles antiques trouvait pleinement son sens car c’est dans l’Antiquité grecque que naît la théorie des humeurs, principalement véhiculée par les écrits d’Hippocrate puis de Galien.
Quatre humeurs, quatre saisons
L’étape suivante, qui mena aux Saisons de Calame, peintes au milieu du XIXe siècle, peut a priori constituer un grand écart. En fait, les humeurs sont associées aux saisons. Le printemps, c’est l’enfance, le sang, l’air, le tempérament jovial et le physique rebondi. Celui de Calame est plus contemplatif avec un paysage imaginaire, des pins parasols, une architecture antique et une nappe de velours qui attend des amoureux curieusement absents pour un pique-nique en tête à tête. L’été, c’est la jeunesse, la saison d’Achille… Rien de colérique pourtant dans ce grand chêne dominant la composition sous l’ombre duquel les faneurs se reposent. Puis vient l’automne, incarné par un lac délavé, entouré d’arbres aux feuillages brunis. Point d’ocres brillants et de cuivres lumineux chez Calame pour cette saison associée à l’atrabile, à la mélancolie et à l’âge mur. L’hiver enfin… un cimetière enneigé sous la lune blême, et les branches maigres des arbres qui se tordent vers le ciel symbolisant la vieillesse, le tempérament flegmatique qui annonce la mort.
Retour à l’irascible
Devant Orage à la Handeck du même Calame, Thierry Debons, percussionniste, a repris la pièce de Heinz Holliger Voi(es)x métallique(s) («Zinnsang») jouée en introduction du concert du matin. Écrite pour percussion cachée, le musicien était cette fois visible, pour le grand plaisir de ceux qui avaient assisté au concert, tant il est impressionnant de voir le musicien jongler entre ses gongs, manipuler baguettes, pattes ou encore archets, taper, frotter, crier même pour interpréter cette pièce parfaitement «irascible»!
De la mélancolie à la Haine
Le parcours s’est poursuivi par l’observation du mystérieux Portait de l’homme au luth, dont on ne connaît ni l’auteur – sans doute un Français – ni le modèle. Daté vers 1630, le tableau fait cohabiter le portrait d’un homme sur un fond très sombre de mur à gros moellons avec une nature morte évoquant les vanitas hollandaises, composée d’un luth appuyé sur une boîte. Au XVIIe siècle, très en vogue à la cour de France, le luth est un instrument associé à la mélancolie.
L’étape suivante nous amena devant le Péché originel librement inspiré d’une gravure de Dürer associée par le plasticien Frank Morzuch à l’humeur et au tempérament sanguin. Enfin, clin d’œil, la visite s’est achevée devant La Haine de Vallotton, qui fait référence à la même gravure. L’occasion de rappeler que la théorie humorale connaît un regain d’intérêt à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, par exemple avec le biologiste Auguste Lumière (1862-1954) quand il ne s’occupait pas de cinéma avec son frère Louis.
Prochain rendez-vous avec l’Ensemble Contrechamps
Concert Citations et décalages, œuvres de Carl Philipp Emanuel Bach
Dimanche 10 mai 2015 à 11 heures au MAH
Visite en musique Appropriation et citation
Dimanche 10 mai 2015 à 14 heures au MAH