Présentés dans la salle consacrée au mobilier et aux arts décoratifs du XXe siècle, au rez-de-chaussée du Musée d’art et d’histoire, les deux panneaux intitulés respectivement Les vendanges et La conquête du cheval ne sont pas de simples pièces décoratives, mais les maquettes réduites au dixième de deux immenses panneaux en laque d’or exécutés en 1935 par Jean Dunand pour le paquebot de la Compagnie Générale Transatlantique, Normandie.
Si à cette date l’artiste avait déjà reçu des commandes officielles, notamment pour le paquebot Atlantique pour lequel il réalisa des panneaux de laque noire animés d’animaux divers, Dunand se vit confier là un projet d’envergure, à l’échelle du plus grand et flamboyant navire jamais construit, destiné à assurer la liaison Le Havre – New York. L’artiste fut ainsi chargé de l’entière décoration du fumoir et d’une partie du salon des premières classes.
Conçus sur le thème Jeux et joies de l’homme, les cinq panneaux réalisés à cet effet par Dunand mesuraient 6 m de haut et 5,80 m de large: La Pêche et Les Sports flanquaient de part et d’autre le grand escalier d’honneur, tandis qu’en face s’affichaient respectivement, à droite et à gauche, La Conquête du cheval ainsi que Les Vendanges et La danse. L’ensemble, cage d’escalier et couloir d’accès compris, constituait un assemblage laqué de mille trente-cinq éléments juxtaposés, conçus et posés de manière à répondre avec souplesse aux différents mouvements du navire, au roulis comme au tangage.
Concernant l’esthétique de ces compositions monumentales, Jean Dunand s’inspira des bas-reliefs égyptiens et s’ingénia à sculpter les moindres détails à la gouge et à la râpe, avant de les recouvrir de laque d’or. Véritable prouesse sur le plan de l’exécution technique, cet ensemble de panneaux s’avéra une entreprise colossale à laquelle participa une centaine de personnes qui travailla d’arrache-pied aux opérations de ponçage et de laquage dans l’atelier parisien de l’artiste.
Plusieurs esquisses et maquettes préludèrent naturellement au projet, parmi lesquelles figurent les deux pièces du Musée, des maquettes au 1/10e données par l’artiste. Dans le but de permettre à ceux qui n’avaient pu visiter le luxueux paquebot d’admirer une réduction du fumoir, et leur faire comprendre l’extraordinaire tour de force technique et artistique de ces panneaux laqués, une présentation publique fut organisée en mars 1936 à la galerie Charpentier, à Paris.
La guerre étant déclarée en septembre 1939, le paquebot resta à quai à New York et fut bientôt désarmé en vue de sa reconversion en transport de troupes. Les panneaux en laque trouvèrent refuge dans les entrepôts de la Compagnie. Après leur retour en France, ils furent remontés sur les nouveaux paquebots de la Transat, Liberté et Île-de-France.