Espaces
Ce printemps voit fleurir d’inédites propositions au Musée d’art et d’histoire. Avec l’intégration des arts graphiques, l’institution ouvre la voie à des accrochages pluridisciplinaires. Les œuvres se répondent et démontrent que les démarches des artistes se rejoignent autour d’une thématique commune, s’entremêlent, se nourrissent les unes les autres à travers le temps et par-delà les médiums et les techniques.
Espaces
Les deux cabinets contigus 23 et 24¹ proposent un nouvel accrochage temporaire (jusqu’au 19 septembre) sur le thème de l’occupation de l’espace, du volume, du surdimensionnement, mettant en scène des œuvres sur papier, des multiples et des bijoux d’auteur.
Le bijou contemporain, bijou d’auteur ou bijou d’art, interroge l’espace et le rapport des volumes avec le corps. Si les modes de création qu’il implique excluent le critère de «portabilité», il suit des règles comme la réalisation innovante, l’originalité des matériaux, le sens du précieux et le conceptuel (recyclage). Le sens du bijou, de la parure, est en lien avec ces notions : la valeur des proportions, un certain équilibre dans l’espace et la 3e dimension portent à décrire certains bijoux en termes de «sculpture en miniature» et d’œuvre plastique.
Dans la première pièce, dite «aux boiseries» (cabinet 23), une coiffe de Maria Pol (1962) est suspendue devant le miroir de cheminée, comme une galaxie dans l’immensité.
En vitrine table, les estampes côtoient une sélection de bagues de grand format qui, une fois glissées au doigt, se comportent comme des excroissances, architecturales pour certaines.
Christoph Zellweger (1962) approfondit l’idée en créant une série de pièces pour le corps conçues comme des prothèses médicales qui, une fois en place, évoquent des poignées de préhension.
Le cabinet annexe (cabinet 24) inverse les codes scénographiques habituels en présentant les bijoux directement accrochés aux murs, sans protection, alors que les œuvres sur papier sont montrées à plat dans une vitrine centrale. La démarche, qui entend questionner le statut des œuvres et bousculer les usages, oriente vers un nouveau regard: par le truchement de cette position verticale, les parures semblent portées et un échange – intellectuel, sensoriel, imaginaire – s’organise inconsciemment entre le corps du visiteur et le bijou, sensation renforcée par la proximité physique de l’œuvre (laquelle n’est à toucher qu’avec les yeux).
La paroi centrale est réservée à la parure monumentale d’Alicia Ribis (1988), Le bijou qui voulait être utile … un titre qui en dit long sur le propos. Cette œuvre, acquise en 2014 et dont l’accrochage est inédit au MAH, est confrontée à une pièce menue et délicate, un objet-bijou signé Sophie Hanagarth: une paire de ciseaux dont les pointes, formant un bec d’oiseau, tiennent un fin anneau d’or pur. Comme une pie voleuse qui arrive du ciel, l’objet semble en suspension et, de son aérienne légèreté, se mesure à l’imposante masse de liège.
Sur le mur de gauche s’égrainent de volumineuses parures, pour le cou, le bras ou le doigt. On retrouve l’immense collier Toxicomanie dont la nature intrinsèque (emballages de médicaments) et plastique (couronne mortuaire) dénoncent l’addiction, la surconsommation, la dépendance et leur danger. De grands noms du bijou contemporain, connus pour leurs œuvres imposantes, sont présents sur ce mur, tel Bernhard Schobinger (1946) ou encore Ralph Bakker (1958).
Le mur de droite s’ouvre sur un ensemble de pièces signées Sophie Hanagarth (1968) reproduisant avec une poésie réaliste différentes parties du corps, comme autant de claires indications physiologiques. Un voyage dans l’espace anatomique avec une broche Troisième sein – ronde et pourvue d’un téton pointu, un pendentif Nombril – qui doit tomber au niveau du ventre – et un long sautoir ouvert intitulé Bijoux de famille, dont les extrémités ovalisantes garnissent le dessous de l’aine.
Suivent des bijoux dont la structure et l’articulation créent les volumes, ceux qui jouent avec la lumière et la répétition, l’accumulation, ceux qui habillent le corps à l’instar de la manchette d’Ursula Bonderer (1968) ou du long collier en bois de Carole Guinard (1955) inspiré par Moebius. Le ballon de football de Noémie Doge (1983) surmonte la constellation de pièces, invitant à un parallèle avec l’exposition Contradictions (lien vers premier blog) dans laquelle il aurait pu figurer, tant au chapitre détournement d’usage et récupération, qu’à celui traitant de la métamorphose dimensionnelle qui existe entre une pièce en 3D et sa mise à plat en 2D (voir le patron et le collier de Jean-François Pereña).
La bijoutière Doris Betz (1960) trace des ponts entre les arts graphiques et appliqués par le biais de ses deux broches : celle du mur de gauche répond au multiple de Cornaro par des similarités de démarche et de technique, tandis que celle du mur de droite, un entrelacs de traits noirs, rappelle le dessin, le croquis, l’estampe.
L’ensemble mural est encadré de deux œuvres qui ne sont pas des bijoux contemporains mais des multiples provenant du CdAG. Celui de droite, signé Pipilotti Rist (1962), n’est pas un collier bien que tout dans sa plastique crie le contraire.
L’exercice est parlant et démontre la porosité effective entre les différents domaines de l’art, si soigneusement cloisonnés en théorie …
Notes 1 Ces cabinets s’inscrivent dans le récent accrochage d’œuvres sur papier du Cabinet des arts graphiques et comprennent les moments suivants: Jean-Jacques Rousseau, Marie-Thérèse et Liotard, Dassier.