Georges Adéagbo

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Un CD de Lisa Stansfield entre les mains de Dark Vador

«Marchant, je passe devant quelque chose abandonné au sol, oublié sur un banc, et cent pas plus loin, une voix dans ma tête me dit: reviens et emmène-moi… !1» La main qui recueille cet objet est celle de Georges Adéagbo, artiste né au Bénin en 1942. Attentif aux couleurs, aux formes, aux mots, il repère une chose délaissée par un passant ou rejetée par la mer tout en collectant figurines, livres, journaux, magazines et CD dans diverses brocantes et échoppes. Il emporte ses multiples trouvailles dans son atelier et les associe à d’autres objets et illustrations. C’est ainsi qu’est né le diptyque La Philosophie de l’art… et L’Eau, la clé conservé au Musée d’art et d’histoire. Il est aujourd’hui présenté à la Maison Tavel à l’occasion de la parution d’un ouvrage qui ravive le souvenir de la venue de l’artiste à Genève en 2018.

Georges Adéagbo, Genève, Suisse d’hier et Genève, Suisse d’aujourd’hui, Milan: Silvana Editoriale, 2020.

En quête d’indices

Georges Adéagbo envisage sa démarche artistique comme une enquête menée dans des lieux inconnus; il réunit des objets en suivant l’exemple de l’archéologie qui est pour lui «la recherche et la découverte des mystères qui régissent un pays, une ville ou une personne2». À cette récolte d’indices s’ajoute la narration de l’artiste qui assemble et dispose sa collecte en fonction d’une vision inspirée par le lieu d’accueil. Il forme alors des installations surprenantes, à l’image de celles présentées à la Maison Tavel et au Palais des Nations Unies en 2018 lors de l’exposition Genève, Suisse d’hier et Genève, Suisse d’aujourd’hui. Le diptyque actuellement au 2e étage de la Maison Tavel a ainsi été réalisé en lien étroit avec l’histoire et la collection du musée.

Les mains de Georges Adéagbo. Il choisit des livres provenant d’une boîte d’échange entre voisins à Genève pour l’exposition, avril 2018. ©Stephan Köhler

Étude de Georges Adéagbo avec les objets pour l’exposition à Genève. La photo est prise du toit de l’atelier de l’artiste à Cotonou au Bénin, avril 2018. ©Stephan Köhler

Dark Vador et Lisa Stansfield

Une figurine de Dark Vador haute de 50 cm présente entre ses mains gantées la pochette vide d’un CD de Lisa Stansfield. Au pied de cette effigie en plastique sont assemblés quatre livres et une toile sur laquelle on distingue des textes à la peinture blanche ainsi que des éléments emblématiques de la Maison Tavel: la représentation d’une des têtes sculptées de la façade ou les personnages des deux mitres d’infamie exposées au rez-de-chaussée.

Georges Adéagbo, La Philosophie de l’art…, 2018. Peinture acrylique sur toile, livres, pochette de CD, porte-bonbons Star Wars Dark Vador en plastique. Vue de l’installation présentée en vitrine à la Maison Tavel en 2021.
©MAH, F. Bevilacqua, inv. BA 2018-0013

Mais quel est le lien entre le héros de La Guerre des étoiles, les ouvrages placés à ses côtés, comme Sanctuary de William Faulkner, et la toile aux motifs colorés? Nul ne le sait vraiment, si ce n’est Georges Adéagbo lui-même qui nous incite à réfléchir aux rapports qui existent entre ces objets. Qu’il s’agisse d’ouvrages aux titres forts ou mystérieux, d’images d’événements historiques ou récents, de figures américaines ou de masques africains, aucun de ces éléments n’apparaît isolé, en dehors de l’homme, de sa culture et de son imaginaire. En position d’intermédiaire, l’artiste conçoit l’objet comme faisant partie d’une cosmogonie qui ne doit rien au hasard et qu’il propose de révéler: «Tu ne vois pas et ne pouvant pas voir, moi j’ai vu, ayant vu, tu peux le voir à travers moi, par mon aide3». De façon originale, ses compositions témoignent ainsi des relations complexes que l’être humain entretient avec les objets, car, pour reprendre les mots de Victor Hugo, «les choses et l’être ont un grand dialogue4»; et il en va ainsi entre un cyborg et l’artiste béninois.

La clé de la maison

Pour l’exposition de 2018, Georges Adéagbo avait placé L’Eau, la clé… dans l’ancienne cuisine de l’appartement de la Maison Tavel en organisant les objets autour de l’évier et du réservoir en pierre. Difficile dès lors de les dissocier de cet emplacement précis. Il a donc fallu trouver une alternative pour présenter l’installation dans une autre pièce, sans perdre son lien central à l’élément liquide. L’idée est alors apparue de disposer ces objets auprès d’une fontaine lave-mains mobile conservée au Musée d’art et d’histoire. L’artiste a accepté cette proposition qui permet de remettre en valeur son œuvre sans en trahir le dessein premier.

Georges Adéagbo, L’Eau, la clé…, 2018. Peinture acrylique sur toile, livres, journal, sculptures en bois. Vue de l’installation présentée en 2018 lors de l’exposition Genève, Suisse d’hier et Genève, Suisse d’aujourd’hui. Les objets sont placés autour de l’évier et du réservoir en pierre de l’ancienne cuisine de la Maison Tavel. ©MAH, F. Bevilacqua, inv. BA 2018-0013

Georges Adéagbo, L’Eau, la clé…, 2018. Peinture acrylique sur toile, livres, journal, sculptures en bois. Vue de l’installation présentée en vitrine à la Maison Tavel en 2021. Les objets sont placés autour d’une fontaine lave-mains mobile, inv. 718 et 718/bis. ©MAH, F. Bevilacqua, inv. BA 2018-0013

Autour de la fontaine sont réunis deux sculptures, trois ouvrages, la une d’un journal et une illustration commentée sur laquelle l’artiste a fait représenter une vue de la façade au badigeon gris de la Maison Tavel. Juste au-dessus est peint l’écusson de Genève avec son aigle et sa clé, sous le regard de Calvin et ces quelques mots: «Qui a la clé de la maison, pouvant entrer dans la maison, à vouloir entrer dans la maison, pour n’avoir pas la clé de la maison, peut-on et pourrait-on entrer dans la maison! Des prières et des Dieux…». En prononçant cette phrase à voix haute, la répétition insistante du mot «maison» donne au texte la coloration d’une étrange litanie moderne dans laquelle la Maison Tavel semble prendre les contours d’un lieu sacré: lors de sa visite, l’artiste y avait ressenti une énergie particulière qui lui évoquait le Temple des Pythons à Ouidah au Bénin.

Peinture à l’acrylique de l’installation L’Eau, la clé… réalisée au Bénin en mars 2018 par Benoît Adanhoueme selon les instructions de Georges Adéagbo.

«La culture est tout… !»

Comme en témoignent les commentaires peints sur les deux toiles du diptyque, l’écriture occupe une place importante dans l’œuvre de Georges Adéagbo. À l’occasion du redéploiement de cette double installation, son rôle est mis en valeur grâce à la reproduction inédite des six textes rédigés en 2018. Dans une écriture régulière et ininterrompue, sa pensée se développe avec une même liberté d’associations. L’artiste explique «qu’il n’emploie pas un langage académique discursif mais modifie le français afin d’en faire pour lui une sorte de langue première, en évitant les appellations abstraites et en usant de beaucoup d’infinitifs5». Les termes se répètent et s’enchaînent dans une continuité et un flux de paroles; et à Georges Adéagbo de conclure avec ses mots simples qui décrivent «le grand» transmettant à «l’enfant» la valeur essentielle et universelle de la culture:

Extrait d’un texte de Georges Adéagbo écrit lors de la préparation de l’exposition Genève, Suisse d’hier et Genève, Suisse d’aujourd’hui à la Maison Tavel en 2018.
Georges Adéagbo pendant la préparation de l’exposition L’Abécédaire de Georges Adéagbo: la civilisation parlant et faisant voir la culture… ! à la Galerie Barbara Wien, Berlin, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Galerie Barbara Wien, Berlin. ©Petra Graf

Un film tourné à Berlin en 2021 au KINDL – Zentrum für Zeitgenössische Kunst, à l’occasion de l’exposition Georges Adéagbo. La lumière qui fait le bonheur, permet de découvrir l’artiste au travail:

Notes
1 Adéagbo, Georges, cité par Köhler, Stephan, «Fusion des quêtes visuelles et textuelles de Georges Adéagbo. De ses assemblages comme laboratoire de rencontres: choses, textes et images», in Peres, Adon (dir.), Georges Adéagbo. Genève, Suisse d’hier et Genève, Suisse d’aujourd’hui, Milan: Silvana Editoriale, 2020, p. 24.
2 Adéagbo, Georges, cité par Köhler, Stephan, op. cit., p. 20.
3 Adéagbo, Georges, cité par Peres, Adon, «Georges Adéagbo et Adon Peres, échanges (décembre 2017-mai 2018)», op. cit., p. 30.
4 Hugo, Victor, «Ce que dit la bouche d’ombre», Les Contemplations, Paris: Flammarion, p. 362.
5 Köhler, Stephan, op. cit., p. 26.

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