Célébrer la création horlogère: une tradition genevoise séculaire
À partir de demain mercredi 1er novembre et jusqu’au 12 novembre, le Musée d’art et d’histoire accueille Genève, cité horlogère, manifestation organisée en association avec le Grand Prix d’Horlogerie de Genève. Tandis que les 72 montres présélectionnées pour la compétition annuelle sont présentées au public dans les salles palatines, auprès des 27 garde-temps contemporains conservés par le MAH – réunis dans le sillage des précédents Grand Prix –, les visiteurs peuvent profiter d’animations proposées autour de la création en horlogerie. Rappelons que cette mise en valeur de l’horlogerie contemporaine est une tradition genevoise plus que centenaire…
Depuis le XVIIIe siècle, l’horlogerie suisse peut en effet s’appuyer sur des mécanismes mettant en valeur ses qualités et contribuant à sa promotion au-delà des frontières locales: ainsi ont été créés la Société des Arts, fondée pour «l’encouragement de l’horlogerie nationale», puis les concours de chronométrie de l’Observatoire, établis pour l’amélioration de la précision. Les joutes organisées par ces organes font converger vers Genève des produits nationaux et internationaux, qui sont mis en concurrence et récoltent, lorsqu’ils sont distingués, une reconnaissance publique appréciable. Une lecture rétrospective des œuvres présentées à ces différents événements permet de suivre l’évolution technologique des mécanismes, de cerner les périmètres de la recherche et du développement (matériaux, formes…) et de constater la résurgence des métiers d’art au milieu du XXe siècle.
Montres & Bijoux de Genève
Organisée à partir de 1942 dans le cadre du bimillénaire de la Cité, l’exposition Montres & Bijoux de Genève se déroule alternativement au Musée Rath, au Musée d’art et d’histoire, dans des hôtels de la place, à Zurich, à Londres et même en Asie et en Amérique: elle devient une manifestation majeure, vecteur de promotion de l’horlogerie suisse dans le monde, créée «pour maintenir et renforcer le prestige que l’on attache partout aux produits horlogers originaires de notre pays». À Genève cependant, son statut de salon (et non de foire commerciale) est «placé sous le patronage des arts». Des présentations historiques l’accompagnent: pendulerie française du XVIIIe siècle, tapisseries anciennes et modernes, émaux, perles et pierres précieuses, automates et mécanismes à musique, bijoux indiens, orfèvrerie anglaise, trésors de l’El Dorado… Dès 1960, les exposants étrangers seront admis dans son cercle.

L’ancêtre du Grand Prix d’Horlogerie de Genève
Un an auparavant, en 1959, la Ville de Genève crée un prix annuel et international, nommé «Prix de la Ville de Genève de la Montre et de la Joaillerie», afin «d’encourager la création esthétique». La première cérémonie se tient dans le cadre de l’exposition Montres & Bijoux, organisée au Musée Rath: «En créant ce prix, la Ville de Genève tient à souligner d’une part la signification du nom de Genève dans le domaine de l’horlogerie et de la joaillerie, et d’autre part la nécessité où nous nous trouvons, face à l’industrialisation, de favoriser la création pure et l’artisanat d’art.» (Journal de Genève, 13 août 1959). De nombreux lauréats étrangers seront néanmoins primés dans le cadre de cet événement, «ancêtre» du Grand Prix d’Horlogerie de Genève qui se tient cette année au MAH.

Le jury présidé par le conseiller administratif Pierre Bouffard comprend notamment Gérard Bauer, président de la Fédération suisse des associations d’horlogerie, Walter Meister, président de l’Union des bijoutiers et orfèvres de Suisse et Pierre-Francis Schneeberger, conservateur des arts décoratifs au Musée d’art et d’histoire. Le concours se déroule en deux temps: envoi des dessins au jury, présélection puis présentation des pièces exécutées sur des thèmes imposés et renouvelés chaque année. Les projets soumis se comptent par centaines, voire par milliers, et proviennent de Suisse et des pays limitrophes. Les œuvres présentées sont ensuite exposées au salon Montres & Bijoux. Et, chaque automne depuis 1959, les palmarès des différents Prix (horlogerie, bijouterie, joaillerie, et émaillerie à partir de 1975) sont proclamés par les autorités municipales dans les salons de la Villa La Grange, à l’Hôtel Métropole ou, à partir de 1972, au Musée de l’horlogerie et de l’émaillerie.

Un prestige international
Le Prix est désormais indissociable de la construction d’une image de l’industrie d’art nationale, réunissant une communauté de professionnels, une fédération d’artisans mobilisée par l’émulation et les défis de la compétition. Mais les bénéfices commerciaux de l’événement ne sont pas occultés: «L’objet primé représente sans conteste un véhicule de promotion pour la raison sociale de la maison qui l’a conçu. La pièce primée est très rapidement connue dans le monde, grâce à la presse et à la télévision. Enfin, l’objet primé est un animateur en matière de direction de la mode» («Un membre du jury du Prix de la Ville de Genève nous dit», in Journal de Genève, 20 octobre 1976).

tous deux signés Gilbert Albert pour Patek Philippe
En 1991, un horloger de la maison Seiko remporte le Prix d’horlogerie avec une montre bracelet à 4 fuseaux horaires. L’envergure du concours multidisciplinaire et international semble être acquise, or des raisons budgétaires le contraignent à déclarer forfait. Au début des années 2000, le Prix d’horlogerie de la Ville de Genève est relancé sous l’intitulé «Grand Prix d’horlogerie». Il participe alors à la valorisation de l’horlogerie mécanique contemporaine et contribue à renforcer l’image de capitale du luxe attribuée à Genève. Le soutien politique accordé à l’événement est renforcé par les partenariats de la Ville et du Canton; le Musée de l’horlogerie et de l’émaillerie accueille ainsi les éditions de 2001 et 2002. En 2017, la boucle est – provisoirement – bouclée: le Musée d’art et d’histoire accueille l’exposition pour une quinzaine de l’horlogerie, enrichie de prestations culturelles inédites pour le public familier des lieux.