Un projet participatif avec des élèves musiciens
En décembre dernier se tenait à l’étage beaux-arts du Musée d’art et d’histoire un événement particulier: un moment famille pour une découverte musicale de la galerie de peinture, animé par des visiteurs… Un exemple de projet participatif, culturel et festif qui illustre l’un des nombreux rôles que le musée peut jouer dans tout processus éducatif. Un projet constitué d’une visite des jeunes musiciens, suivie d’une réflexion et d’une travail entre les enseignants et leurs élèves avant la tenue des concerts dans les salles du MAH.
De la musique à la peinture
Les élèves de la filière intensive du Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre de Genève sont venus visiter le musée, qui avec son professeur, qui avec un parent, sous un angle particulier: la mise en relation entre la peinture et la musique qui était créée à la même époque et dans la même aire géographique. L’objectif: replacer dans son contexte culturel la musique jouée par ces jeunes âgés de 8 à 15 ans, peut-être futurs professionnels.
Ainsi, autour des fresques du début du XVe siècle représentant des anges musiciens et qui ornaient le plafond de l’abside de la Chapelle des Macchabées sont évoqués les instruments médiévaux, ancêtres de ceux pratiqués aujourd’hui par les participants, et le rôle primordial de l’iconographie dans la connaissance de ceux-ci. Plus loin, devant le portrait d’Elisabeth Charlotte de Bavière, princesse Palatine et belle-sœur de Louis XIV, on parle de la dépendance commune des peintres et des musiciens de Cour au service du pouvoir.
On décortique aussi les deux représentations très théâtrales de la geste d’Héraclès sous le pinceau de Gaspare Diziani (1689-1767). Ce Vénitien, contemporain d’Antonio Vivaldi (1678 – 1741) – lequel consacra à ce même héros un opéra – peignit des décors et conçut la scénographie d’opéras tant dans la Cité des Doges qu’à Dresde.
Dans la salle néoclassique, on réfléchit à l’impact de la Révolution sur la musique et la peinture, on évoque les premiers conservatoires qui naissent en même temps que les premiers musées et avec des objectifs assez similaires. Gabriel-Constant Vaucher (1768-1814) peint La Mort de Lucrèce, sujet qui marque la fin de la royauté romaine et fait écho à la Révolution en germe, presque au moment où Luigi Cherubini (1760-1842), un des fondateurs du Conservatoire de musique de Paris, consacre plusieurs opéras à des sujets d’histoire et de mythologie antique.
Et le parcours se poursuit ainsi à travers cinq siècles de peinture et de musique.
De la peinture à la musique
Élèves et professeurs choisissent ensuite des morceaux à mettre en lien avec les peintures observées, les ambiances des salles, le contexte historique ou certains éléments iconographiques dont l’esprit correspond à la musique. Quelques semaines plus tard, ils les interprètent dans les salles, au milieu des œuvres, pour le bénéfice non seulement de leurs familles mais aussi du public du musée, invité à l’événement dans le cadre du programme jeune public.
Répartis dans les différentes salles, les jeunes musiciens attendent les visiteurs, accompagnés à chaque étape de leur parcours. Ils présentent les pièces qu’ils jouent et le cadre qu’ils ont choisi pour le faire. Ainsi, cinq jeunes filles interprètent-elles au violoncelle deux pièces de Georg Goltermann (1824-1898) au milieu des œuvres de Calame et de Diday. Leurs paysages romantiques, représentant souvent des vues alpines, répondent à la musique du compositeur allemand. Écouter sérénade opus 119 n°2 en regardant Le printemps de Calame: un paysage imaginaire avec des ruines et de pins parasols au crépuscule, et une nappe de velours dressée pour un pique-nique, attendant des amoureux curieusement absents. Regarder L’été en entendant la romance opus 119 n°1, les paysans se reposant à l’ombre d’un grand chêne…
Un peu plus loin, ce sont des duos violon-violoncelle de Reinhold Glière (1875–1956) qui résonnent dans la salle consacrée aux paysages d’Hodler. En observant les parallélismes, les jeux de symétries et les rythmes créés par la position des nuages dans le ciel ou des cygnes sur le lac, on peut se demander si le néoromantique russe n’a pas vu les toiles du peintre suisse.
Mais c’est peut-être avec puzzle pour deux violons de Peter Wettstein (né en 1939, à Zurich) interprété derrière Si c’est noir, je m’appelle Jean de Tinguely que la correspondance est la plus réussie. La pièce se compose de onze parties – le réveil, le jour nouveau, fantôme dans le brouillard, l’effroi, le saut hardi, la persécution, la nuit étoilée, l’escargot et la fourmi, le vol, la rêveuse, s’endormir – comme autant de pièces de puzzle que les interprètes peuvent assembler selon l’ordre de leur choix. Comme l’explique l’une des violonistes, «avec ces onze pièces, on peut raconter cent vingt et une histoires différentes. C’est beaucoup, mais bien moins que la sculpture-machine de Tinguely, elle aussi composée d’éléments divers combinés, qui permettent de se raconter un nombre infini d’histoires ».
Boucler la boucle
Ce projet est un joli exemple du rôle éducatif et social que le musée peut jouer. Espace d’éducation informel, il permet – et d’autant plus quand il a, comme le Musée d’art et d’histoire, des collections encyclopédiques – de sensibiliser à l’histoire culturelle autour des témoins matériels qu’il conserve de différents lieux et de différentes époques. Grâce à un tel projet, le musée invite d’autres visiteurs à venir découvrir ce qu’il a contribué à susciter, moins comme une fin en soi que comme une incitation à revenir à ses collections qu’il rassemble et expose et dont le témoignage ne cesse de s’enrichir par le regard de ceux qui les contemplent, s’en inspirent et se les approprient…