Éloge de la lenteur… contemplative

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Scènes de vie quotidienne

Depuis les années 1990, dans le sillon des mouvements environnementalistes tels que le Slow Food, le Slow Art est devenu pour certains artistes une éthique de travail et une façon de résister aux emballements du marché. Puis est né le Slow Art Day, incitant les visiteurs-euses des musées à dédier plus de temps que les 6 à 30 secondes passées, en moyenne, devant un tableau. Cet événement a lieu tous les 4 avril, mais cette année le Covid-19 en a décidé autrement et il se fera, sans mauvais jeu de mots, «sur la toile». Temps de confinement oblige, pourquoi ne pas retenir la méthode et contempler, plus lentement, les collections du MAH? Notamment les scènes de la vie quotidienne du XVIIe siècle hollandais pour échapper, justement, au quotidien.

Quiringh Gerritsz van Brekelenkam ( vers 1620 – 1668 ). Intérieur de cuisine, 1659.
Huile sur bois de chêne, 56,8 x 74,6 cm © MAH Genève, inv. CR 0023

Particulièrement appréciées autrefois, ces «scènes de genre» présentent une infinité de détails, comme autant de stratagèmes utilisés par les peintres pour séduire les collectionneurs. Il suffit donc de se glisser dans la peau de l’un d’eux pour que les 6 à 30 secondes deviennent de longues minutes. C’est le cas de l’intime et touchante scène intitulée Intérieur de cuisine de Quiringh Gerritsz van Brekelenkam, où l’on voit un enfant qui tend une bulle de savon à sa mère qui interrompt son activité. Un jeu intemporel? Pas seulement, car en ces temps de quarantaine, où l’école à la maison fait débat, cette scène nous rappelle qu’avant le XVIIIe siècle, l’école à proprement parler n’existait pas. L’enfant apprenait un peu tout le temps, un peu partout, dans la cuisine et dans les champs. L’intemporel est ici dans l’échange entre le geste de l’enfant auquel répond celui, suspendu, de la main droite de la mère: aussi modeste soit-il, l’exploit d’un enfant suscite souvent la surprise attendrie d’un adulte. Et si, comme le papillon, la bulle de savon peut parfois évoquer la fragilité de la vie, elle est ici plutôt prétexte à arrêt sur image, celle de cet instant qui – entre celui qui précède et celui qui suit – ne reviendra jamais. La peinture est capable de cela: retenir le ça a été que Roland Barthes a si bien théorisé pour la photographie. Enfin, dans ce clair-obscur hollandais, il y a un décor chargé, où se côtoient ustensiles de cuisine, mobilier, carottes et coquilles vides. Autant de prouesses picturales, composant un inventaire à la Prévert de matériaux divers: rotin, argile cuite, étoffes, métal, bois, céramique, etc. De quoi s’amuser depuis chez soi à inventorier chacun d’entre eux, à ressentir leurs qualités tactiles pour suspendre le temps à son tour et inventer d’autres histoires: est-on sûr que cette femme est la mère de l’enfant?

Au fil des jours, d’autres exemples s’ajouteront à celui-ci pour jouer aux devinettes: certaines compositions cachent des plaisanteries, des objets inertes qui s’animent, des sons, des messages moraux. Dédier quelques minutes par jour à la contemplation lente des œuvres du MAH (avec ou sans ses enfants), permet autant de se détendre que d’affûter son regard, un outil précieux en ces temps où défilent les images anxiogènes.

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