When the sun goes down and the moon comes up est la troisième exposition XL du Musée d’art et d’histoire, avec Ugo Rondinone dans le rôle de commissaire et maître d’œuvre. L’artiste suisse installé à New York a reçu carte blanche pour transfigurer les espaces du musée et révéler sa collection de manière très personnelle. Inspiré par la symétrie et la majesté du bâtiment du MAH, Rondinone a trouvé au MAH un lieu propice à la création d’harmoniques et de correspondances entre deux figures majeures de l’art helvète, Ferdinand Hodler et Félix Vallotton. En résulte un dialogue à trois voix, avec plus de 500 pièces de la collection du musée entremêlées avec les œuvres du New-Yorkais. Rondinone est un complice de longue date du directeur du MAH, Marc-Olivier Wahler ; ensemble, ils ont travaillé sur plusieurs expositions mémorables à New York et à Paris. Ils se retrouvent ici pour un échange sur la gestation de cette exposition événement. When the sun goes down and the moon comes up ouvre ses portes du 26 janvier au 18 juin 2023.
Carte blanche à Ugo Rondinone
Entretien avec Marc-Olivier Wahler
Marc-Olivier Wahler: Cela fait maintenant une vingtaine d’années que nous collaborons régulièrement. Au Swiss Institute à New York en 2001, je vous avais invité à organiser une exposition personnelle et vous m’aviez présenté une idée fabuleuse : faire intervenir John Giorno et Urs Fischer au sein même de votre travail. Plus tard, au Palais de Tokyo à Paris en 2007, vous avez été le commissaire d’une des meilleures expositions qu’il m’ait été donné de voir, The Third Mind. Votre don pour la création d’échos, de relations, de correspondances a ainsi été mis à chaque fois au service du travail d’autres artistes. Comment avez-vous abordé le défi si particulier que représente la curation de l’exposition XL au MAH?
Ugo Rondinone: Il est vrai qu’une partie de mon travail repose sur l’orchestration de relations entre des œuvres, des lieux, des expériences. Avant même d’explorer la collection du MAH, j’ai d’abord été frappé par son architecture et l’effet de symétrie, de part et d’autre du hall d’entrée, entre la première grande salle palatine et la salle Duval. Les visiteurs peuvent alors se diriger à droite ou à gauche selon leur désir ou leur curiosité. Pour moi, c’est d’abord une occasion de repenser l’espace et de le mettre en scène de façon narrative. L’exposition devient un voyage que l’on fait mais qui vous soumet également, en tant que spectateur, à des rencontres, des expériences, des surprises aussi. Que ce soit dans les objets ou les œuvres exposés, le parcours du lieu ou la transformation du bâtiment, ce thème du double, de la symétrie et du renversement s’impose comme une base continue, un fil rouge qui accompagne les pas du visiteur et le plonge dans un véritable écosystème. Au cœur de ce dernier, j’ai mis en scène un jeu d’échos et de réponses entre deux grands artistes suisses qui occupent une place particulière dans la collection du musée : Félix Vallotton et Ferdinand Hodler.
MOW: Quels sont les grands principes qui vous ont inspiré dans la mise en scène de ces multiples symétries ?
UR: J’aime travailler à partir d’archétypes, de grandes forces fondamentales qui organisent notre existence. Peints en pied et en arme, les guerriers suisses de Hodler répondent dès le début du parcours aux nus de Vallotton, créant ainsi un contraste entre la force et la vulnérabilité, la protection du corps et son dévoilement. Les tableaux que Hodler consacre à l’agonie de sa maîtresse Valentine Godé-Darel et la façon si particulière qu’il a de saisir la mort dans son imminence entrent en opposition avec les gravures intitulées Intimités dans lesquelles Vallotton explore un autre rapport au privé et à la vie du couple. Mais ces jeux de questions-réponses se prolongent avec l’intégration de certaines de mes œuvres (figures de danseurs nus, horloges, chevaux de verre…) qui créent une autre épaisseur de références et renvoient aussi aux grands thèmes qui traversent un certain romantisme : le désir, le temps, le rapport à la nature et à l’intériorité.
MOW: Comment pourriez-vous décrire la collection du MAH ? Qu’est-ce qui a pu vous surprendre en son sein ?
UR: Elle est extrêmement riche et nous offre aussi bien des objets d’art et d’usage que les œuvres d’art mentionnées auparavant. Elle permet ainsi de fantasmer l’intimité de ces deux artistes en imaginant leurs appartements privés comme ceux des dandys de la fin du XIXe siècle. Je m’y emploie ici en collaboration avec le décorateur Frédéric Jardin. Cette collection est aussi l’occasion d’une relecture de l’histoire de l’art: Hodler et Vallotton sont liés par bien des similitudes – leur rapport à la modernité helvétique, une certaine approche du paysage et de la scène de genre par exemple. Mais ils ont aussi des différences profondes : alors que Hodler reste attaché au symbolisme, Vallotton évolue vers le modernisme et le mouvement nabi. Leurs visions ne cessent ainsi de se croiser et de diverger. Cette chorégraphie des regards me fascine et m’inspire ce dialogue aux voix multiples.
Propos recueillis par Thomas Mondémé