À bout de souffle pour une taille de guêpe

Une brève histoire du corset

À l’évocation du corset, notre imagination s’emballe, projetant des images de femmes à la taille excessivement fine. Entre érotisme, contrainte et prestige, le corset est un élément essentiel de la garde-robe féminine occidentale durant près de quatre siècles, dont l’évolution est étroitement liée à celle des canons de beauté. Les objets présentés dans l’exposition Pour la galerie. Mode et Portrait permettent d’en raconter l’histoire…

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Des corps à baleines…

Si les premières images de corsets remontent à l’Antiquité, c’est réellement lors de la première moitié du XVIe siècle que cette mode prend son essor. Les aristocrates portent alors des corps à baleines pour paraître à la cour, associant prestige et corsetterie. Néanmoins, le chirurgien Ambroise Paré (vers 1510-1590) alerte déjà sur les dangers d’un laçage trop étroit, particulièrement pour les jeunes filles[1]. Ce débat opposant mode et santé sera aussi long que l’histoire du corset.

Le 14 décembre 1704 au château de Marly, la Princesse Palatine se plaint d’un certain relâchement à la cour: «La paresse [des femmes] les pousse à marcher tout le jour non lacées, cela leur fait des corps épais, de sorte qu’elles n’ont plus de taille; ainsi on ne voit rien de beau, ni de corps, ni de visage»[2]. Sur son portrait peint par l’atelier d’Hyacinthe Rigaud (fig.1), elle-même porte un corset sous sa robe de brocard, la taille soulignée par un rang de perles.

Fig. 1 Atelier de Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Portrait d’Élisabeth Charlotte de Bavière, duchesse d’Orléans, princesse Palatine du Rhin (Heidelberg, 1652 – Saint-Cloud, 1722), 1718.
Huile sur toile. Legs Jacques-Antoine Arlaud, 1742
©MAH, photo: B. Jacot-Descombes, inv. 1843-0003

… aux corsets …

Ainsi, le XIXe siècle est probablement celui le plus associé au corset dans les esprits, notamment en raison des excès du tightlacing. En 1828, l’invention d’œillets en métal permet concrètement de renforcer le laçage[3] et, ainsi, de le serrer comme jamais auparavant. Seules quelques femmes de la haute société le pratiquent, portant des corsets de plus en plus étroits pour atteindre la taille de guêpe alors à la mode, soulignée par de larges crinolines. Le corset porte ainsi de multiples significations, exprimant à la fois un certain statut social, mais aussi la beauté et l’érotisme féminin de par son exagération des courbes. Paradoxalement, ce sous-vêtement est aussi un signe de respectabilité, en raison du contrôle qu’il exerce sur le corps – et, par extension, sur les passions physiques – faisant adopter une allure rigide et disciplinée.

Fig. 2 Page montrant les différentes étapes de l’habillement féminin, tirée de Bertall, La Comédie de notre temps : études au crayon et à la plume. La civilité, les habitudes, les mœurs, les coutumes, les manières et les manies de notre époque
Vol. I, Paris: E. Plon et Cie, Imprimeurs-Éditeurs, 1874, p.127.

Dans La Comédie de notre temps, le caricaturiste Bertall montre par le dessin et par les mots les nombreuses couches de vêtements construisant une véritable «architecture», nécessaire pour atteindre la forme exigée par la robe (fig. 2). Après s’être insurgé contre la contrainte infligée par le corset, il ne peut s’empêcher de constater, presque désappointé: «Sans corset, il faut l’avouer, une toilette n’est guère possible. […] les étoffes se drapent mal, pleurent, et s’égarent sans harmonie autour du corps»[4]. Après la rigidité des corps à baleines, le corset Belle Époque suit les courbes et devient plus abordable grâce à l’industrialisation et l’utilisation de métal à la place des fanons de baleine[5].

Petit à petit, le diamètre des jupes rétrécit et le buste s’allonge, tout en dessinant une taille fine mettant en valeur la poitrine et les hanches. Des couturiers tels que Charles Frederick Worth, Jeanne Paquin ou Jacques Doucet font rayonner cette silhouette en S, emblématique de la Belle Époque. Ainsi, la robe portée par Cornélia Mérillon dans son portrait (fig. 3) est cousue dans une mousseline légère, dessinant une ligne fluide et élégante. Soulignée par une ceinture rose, sa taille paraît encore plus étroite par rapport à sa poitrine, exagérée par un nœud de tissu vaporeux et des broderies de perles dorées.

Fig. 3 Edward Shirley Borden (1867-1951), Portrait en pied de Madame Cornélia Mérillon, mère de Pierre Mérillon, 1904.
Huile sur toile. Don de Pierre Mérillon et de ses héritiers, 1981
©MAH, photo: B. Jacot-Descombes, inv. 1986-0019

… jusqu’à la libération !

Au début du XXe siècle, les femmes participent au changement de plus en plus rapide de la société. Porteront-elles encore un corset, suivant ainsi leurs mères? Ou, au contraire, deviendront-elles dangereusement avant-gardistes en suivant une mode plus fluide et fonctionnelle? Madeleine Vionnet, couturière éprise de liberté et de drapés antiques, se souvient: «[…] chez Doucet, j’ai présenté pour la première fois les mannequins pieds nus dans des sandales et en peau, comme on dit»[6] – comprenez, portant les étoffes à même la peau, sans sous-vêtements.

Presque simultanément, Paul Poiret contribue à cette libération, avant d’être inspiré par la venue des Ballets Russes à Paris dès 1909. Surnommé Le Magnifique, le couturier fait alors entrer dans le vestiaire féminin turbans, pantalons bouffants, tailles remontées sous la poitrine et robes à la coupe droite, parées de motifs orientalistes. Gabrielle Chanel, quant à elle, voit dans le corset un symbole de servitude à l’homme, lui préférant des coupes fonctionnelles et confortables adaptées aux femmes modernes.

Néanmoins, deux guerres mondiales brisent cet élan. Les hommes partis au front, les femmes ont besoin de vêtements plus pratiques, les coupes se simplifient, les jupes raccourcissent pour faciliter les mouvements, les mètres de tissus sont rationnés. Or, si les femmes remportent le droit de vote en France en 1944, la première collection de Christian Dior en 1947 signe le retour du corset. C’est le New Look, ultra-féminin, aux longueurs d’étoffes indécentes –des dizaines de mètres pour une robe!– mais surtout aux poitrines hautes, aux tailles fines, aux robes «corolles» amples et tournoyantes.

Dans les années 1960, les anti-fashion s’opposent fermement à ces corsets qu’on souhaiterait oublier. Le mouvement s’élève contre les diktats de la haute couture parisienne et contre le rythme des défilés, forçant les femmes à renouveler leur garde-robe tous les six mois. Sur cette robe en coton (fig. 4), le slogan incite les femmes à être «belles dans un sac de patates» qu’il s’agit de «remplir avec 100lbs [45kg] ou plus de charme, et économiser sur les créations d’inspiration française». Les lignes d’un patron de couture proposent de recouper le vêtement selon le style «empire», «ballon» ou «trapèze».

Fig. 4 Robe Be beautiful in a potato sack, coton, États-Unis, vers 1965.
Fondation Alexandre Vassiliev, inv. 2018.8.2.17.CW.DR.C1965.US

Émancipées, vraiment?

Si l’abolition du corset est généralement liée aux mouvements pour les droits des femmes, son histoire est bien plus complexe et multifactorielle. Les militantes avaient alors d’autres priorités et cette libération vestimentaire est notamment le fruit d’un changement dans la perception de la beauté. Au cours du XXe siècle, le corps féminin moderne devient de plus en plus athlétique. Les muscles sont le moyen d’obtenir une silhouette de rêve, nouveaux corsets de l’ère contemporaine. Les baleines de métal ont été remplacées par les injonctions aux régimes, à l’exercice physique ou à la chirurgie esthétique.

Aujourd’hui, le corset est désormais mental, internalisé par une société submergée d’images de corps irréalistes où les silhouettes sont retouchées par traitement numérique: impossible de l’atteindre sans le soutien d’un corset. Il n’en demeure pas moins que les designers se le réapproprient et le subvertissent avec inventivité, de la féminité provocante par Jean-Paul Gaultier à l’icône punk par Vivienne Westwood.

Ce texte est signé Marie Barras, membre de l’équipe de commissariat de l’exposition Pour la galerie. Mode et portrait.

Notes

[1] Steele Valerie, The Corset: A Cultural History, New Haven, London: Yale University Press, 2001, p.5.
[2] Lettre à Sophie de Hanovre, 14 décembre 1704 in Bodemann Eduard, Aus den Briefen der Herzogin Elisabeth Charlotte von Orléans an die Kurfürstin Sophie von Hannover: ein Beitrag zur Kulturgeschichte des 17. und 18. Jahrhunderts, Hannover, 1891, p.96. Notre traduction, les italiques signalent l’usage du français dans le texte original.
[3] Steele, op. cit., p.44.
[4] Bertall, La Comédie de notre temps: études au crayon et à la plume. La civilité, les habitudes, les mœurs, les coutumes, les manières et les manies de notre époque, vol. I, Paris: E. Plon et Cie, Imprimeurs-Éditeurs, 1874, p. 139; pp.128-129.
[5] Ribeiro Aileen, Clothing Art: the visual culture of fashion, 1600-1914, New Haven: Yale University Press, 2017, p.355.
[6] Bertin Célia, Haute Couture, terre inconnue, Paris: Hachette, 1956, p.161 in Golbin Pamela [dir.], Madeleine Vionnet. Puriste de la mode, Paris: Les Arts Décoratifs, 2009, p.15.

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