Bijou contemporain, une collection vivante

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Domaine de l’art défini par l’expression artistique personnelle au travers de l’objet porté: un bijou peut être autre chose que ce que l’on envisage traditionnellement.

En Occident, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les bijoutiers perpétuent un savoir-faire artisanal et traditionnel déjà séculaire: métaux précieux, gemmes facettées, finesse d’exécution sont quelques critères incontournables qui donnent à un objet le statut de bijou. Les années 1900 et l’Art nouveau voient naître les premières pièces signées, ouvrant la voie à un langage différent. De plus en plus d’artistes œuvrant dans d’autres disciplines s’essayent à une interprétation personnelle de l’objet porté. Durant le troisième tiers du XXe siècle, cette préoccupation s’amplifie: revoir le bijou, s’exprimer au travers de la parure. Après avoir modifié les codes formels, les artistes s’attellent à une réflexion sur les matériaux, le sens du précieux. La valeur est ailleurs.

Le bijou se charge d’un message: il devient une œuvre d’art portable.

À partir des années 1960, le mouvement tend à prendre le nom de «bijou contemporain». Des artistes lui sont de plus en plus fréquemment attachés de façon fidèle: plasticiens du minuscule, ils font du bijou leur unique moyen d’expression. En parallèle, la bijouterie traditionnelle continue sa production, omniprésente, mais dont les discrètes modifications se perçoivent au gré de l’avancement du laboratoire d’idées innovantes qu’offre le bijou contemporain.

L’École genevoise

Le monde du bijou contemporain est vaste et constitué d’autant de micromouvements qu’il y a d’écoles, de professeurs, de créateurs. Si certaines œuvres semblent toujours appartenir au monde de la parure, d’autres en sont fort éloignées. Elles restent cependant caractérisées par une relation avec le corps.

Depuis plus de 25 ans, Genève forme des artistes dans ce domaine (École supérieure des arts appliqués / HEAD) et la qualité de ces plasticiens de l’art appliqué ne s’est jamais démentie. Les palmarès des différents prix ou bourses soutenant la création dans le domaine montre l’importance de ces auteurs sur la scène artistique locale. Par exemple, la Ville de Genève soutient les arts appliqués au travers, entre autres, des bourses Lissignol-Chevalier et Galland: ces dernières années, elles ont été régulièrement conquises par des bijoutiers contemporains.

Dans les années 1990, le métal reste au centre de l’enseignement, mais l’apprentissage de sa métamorphose ne ferme pas pour autant la porte à d’autres matériaux, parfois inattendus. L’or, rarement poli, est satiné, martelé, griffé; l’argent, noirci, bruni ou blanchi à l’extrême. Les métaux précieux sont travestis, surprennent, arborent la trace des coups portés par l’outil. Les travaux des années 2000 porteront davantage sur des matériaux synthétiques ou de récupération: par des œuvres aux qualités plastiques indéniables, plus colorées, certains artistes renforcent leur appartenance à l’art contemporain… L’expression se libère de toutes contraintes industrielles.

S’il a fallu plusieurs décennies au bijou contemporain pour être reconnu comme expression artistique à part entière, il fait aujourd’hui partie des plus novatrices. Ses dimensions cernables et sa relation intime avec le corps le rendent accessible: un petit volume peut avoir une plastique forte; la qualité artistique d’une œuvre ne tient pas dans son échelle. C’est ce qui nous est démontré.

Reconnaissance dans les institutions

Suivant l’ascension de la création helvétique, plusieurs institutions publiques suisses ont initié des collections de bijoux contemporains. Citons les importants fonds du Musée national suisse et du Mudac. Une grande exposition rétrospective sur le bijou d’auteur en Suisse au XXe siècle a été organisée en 2002 à Genève, au Musée d’art et d’histoire: elle faisait suite à un ouvrage incontournable sur le sujet, dû à Antoinette Riklin-Schelbert et paru en 1999.

Le Musée d’art et d’histoire est fier de perpétuer le soutien qu’il a toujours témoigné aux artistes de l’École genevoise, quel qu’en soit le domaine: en effet, depuis plus d’un siècle, nombre d’acquisitions ont régulièrement enrichi le patrimoine collectif. Ces cinq dernières années, seize œuvres marquantes ont rejoint la collection de bijou contemporain, qui regroupe désormais 126 occurrences.

En images, le point sur quelques-uns des derniers choix en la matière, focalisés sur l’École genevoise.

Sonia Morel (Prilly, 1968), [Sans titre], 2008, © MAH, photo: M. Aeschimann, inv. H 2010-12
Végétal, animal, aquatique… mystère. Vivant en tout cas, sans nul doute. Outre ses grandes qualités plastiques et artistiques, cette œuvre entrouvre une porte sur un propos presque oublié: l’émail peut devenir matière, couleur pure, et participer à un langage contemporain.
Aurélie Dellasanta (Genève, 1980), Les Champignons, 2008, © MAH, inv. H 2010-9
Le motif central est emprunté au monde de l’enfance, par le biais d’un tampon encreur. Délicat mélange d’ancien et de moderne, si délicat que l’on ne saurait plus distinguer l’un de l’autre, mais qu’importe: l’effort, ou le talent, est là, donnant vie à un objet subtil qui, par d’infimes détails, affirme une plastique contemporaine.

Julie Usel (Genève, 1982), [Sans titre], 2005, © MAH, inv. H 2010-7
Ceci n’est pas un collier de perles… Trompe-l’œil particulièrement bien conçu, il réunit tous les éléments pour fausser l’interprétation: l’éclat délicatement nacré de l’Orient, le lustre des rangs. Le travail est pourtant presque aussi important que celui effectué au fil des ans par le coquillage: il a fallu entortiller des mètres de cellophane alimentaire pour fabriquer ces petites sphères.
Sophie Bouduban (Delémont, 1967), [Sans titre], entre 2005 et 2010, © MAH, photo: B. Jacot-Descombes, inv. H 2011-112
Cocon architectural qui s’élève à la verticale, cette tour miniature, étonnement stable, est extrêmement légère: la carapace n’est qu’un leurre. Une fois portée, ne reste visible que la partie festonnée, qui semble pousser telle une concrétion sur la peau.
Sophie Hanagarth (Lausanne, 1968), Lips stick, 2013, © MAH, inv. H 2013-79
L’auteur continue son exploration des diverses parties du corps: le Musée d’art et d’histoire conserve déjà un pendentif «nombril», une broche «3e sein» et un long sautoir «bijoux de famille». Ici, la bouche lippue que l’on peut imaginer géante, travaillée dans l’acier, attend d’absorber et de rendre notre doigt.

Ophélie Sanga (Suisse, 1988), Brûler!, © MAH, inv. H 2013-85
Pièce issue d’un travail sur la transformation, focalisé sur l’opposition entre l’état initial et final d’un objet. Á la manière d’un camée ancien, ce bijou n’est cependant pas serti de perles, mais de têtes d’allumettes qui ne demandent qu’à prendre feu: une mèche au bas de l’ovale indique la marche à suivre. La démarche pousse à la transgression de codes établis: les bijoux sont des objets précieux qu’il convient de manipuler avec toute l’attention requise … ce à quoi l’auteur répond : «Prenons le risque d’agir sans avoir peur de dégrader, car rien ne se détruit, tout se transforme!».

Dans les légendes, il est volontairement omis de préciser le type de bijou (bague, bracelet, broche, sautoir, etc.). Ces catégories véhiculent un ensemble de poncifs qui nuisent à la lecture de l’œuvre… Plutôt que de vous les livrer, à vous de les découvrir, de les imaginer par vous-mêmes!

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