Décompte vertigineux au MAH
Depuis quelques jours, le fronton du Musée d’art et d’histoire accueille une horloge digitale conçue par l’artiste genevois Gianni Motti. Marc-Olivier Wahler, directeur du MAH, nous en dit plus.
Que Big Crunch Clock mesure-t-elle au juste?
Il s’agit d’un compte-à-rebours, semblable à ceux que l’on a pu voir fleurir un peu partout avant le passage à l’an 2000. Comme son nom l’indique, Big Crunch Clock décompte le temps qu’il reste d’ici la fin du monde, et plus précisément jusqu’à l’implosion du soleil programmée dans plus ou moins cinq milliards d’années. En somme, l’horloge calcule sa propre disparition. Normalement, les œuvres sont créées dans l’idée d’être immortelles, et les musées les conservent pour qu’elles restent éternelles. Cet objet nous rappelle paradoxalement que l’éternité a une durée et il ne cache pas son statut périssable, avec une date de destruction programmée.
Pourquoi avoir choisi d’exposer cette œuvre?
Je l’ai déjà exposée lors de mon exposition inaugurale intitulée Cinq milliards d’années, au Palais de Tokyo en 2006. Cela correspondait alors à la période qui nous séparait du cosmic jerk, ce moment clé où l’univers, après le Big Bang, passait d’une période de stagnation et de régression à un mouvement contraire d’expansion. Cela peut paraître anodin mais, comme l’a expliqué Einstein, depuis ce moment, il n’y a plus de point fixe dans l’univers. Nombre d’artistes contemporains ont tenté de mettre cela en évidence avec toutes sortes de moyens. Avec Big Crunch Clock, on est à rebours de l’œuvre d’art immobile, faite pour être contemplée, gelée dans l’espace et le temps. Elle a ceci d’intéressant qu’elle est fixée, pour ne pas dire figée, sur le fronton du bâtiment du MAH, mais il est impossible d’en avoir une vision nette à un instant T. Le décompte est si rapide, au millième de seconde, que l’œil nu et même un appareil photo standard n’arrivent pas à en saisir une image fixe.
Et pourquoi l’installer aujourd’hui au MAH?
Chronologiquement, on se trouve cinq milliards d’années après le cosmic jerk, et cinq milliards d’années avant l’implosion du soleil. Nous sommes quelque part au milieu et cette horloge nous rappelle notre place dans l’univers. C’est une œuvre unique, dont il existe une déclinaison sous un format plus modeste.
Pouvez-vous nous en dire plus au sujet de son créateur, Gianni Motti?
C’est un artiste genevois dont l’identité est toujours fluctuante. J’avais écrit autrefois dans un article: «Gianni Motti n’a pas besoin du monde de l’art, mais le monde de l’art a besoin de lui». Par des performances et des installations, il met en évidence certains mécanismes de notre société. Il intervient régulièrement pour en montrer les absurdités et utilise son statut d’artiste pour arriver à ses fins. Ayant eu accès à une convention sur les droits de l’homme à l’ONU à Genève, il avait, par exemple, pris la place du délégué indonésien qui s’était absenté et avait dénoncé les injustices dont souffrent les minorités de ce pays. Je trouve important d’avoir cet artiste au MAH, car il a beau être genevois, il n’a que rarement été soutenu par les institutions.
Combien de temps Big Crunch Clock restera-t-elle au MAH?
Il s’agit d’un prêt de l’artiste à durée encore indéterminée. C’est d’abord un clin d’œil au Palais de Tokyo, puis au MAH qui réfléchit actuellement à sa restauration et à son agrandissement. C’est une manière détournée de parler du système genevois qui a son propre rythme et qui jugera du moment où ce projet, jugé nécessaire aux yeux de tous, pourra se faire. Cette horloge indique que nous avons l’éternité devant nous. Mais si l’on observe les millièmes de seconde défiler à toute vitesse, l’impression est tout autre. L’éternité devient d’un seul coup très stressante.