Un coupe-papier signé Georges Bastard
Cet élégant coupe-papier reflète tant dans le choix de son matériau que dans son décor toute l’âme et le savoir-faire du Japon. C’est pourtant à un artiste français, Georges Bastard (1881-1939), que revient, en 1923, la création de cet objet finement façonné.
Originaire d’Andeville (Oise) et héritier d’une dynastie de tabletiers-éventaillistes, Georges Bastard se familiarise dès sa prime enfance avec la variété des matières délicates travaillées dans l’atelier paternel – os, corne, ivoire, écaille, bois précieux et nacre –, toutes destinées à la confection de petits objets soignés à l’image de montures d’éventails, d’échiquiers ou de boutons. Fort d’un solide apprentissage auprès de son père, et bientôt diplômé de l’École nationale des Arts décoratifs de Paris, Bastard explore les possibilités que lui offrent ces matières séculaires, bien décidé à renouveler leur traitement. Ainsi les aborde-t-il avec audace et personnalité, s’affranchissant des décors inspirés de l’Ancien Régime qui ont fait les grandes heures de la tabletterie de l’Oise.
L’engouement pour le pays du Soleil-Levant, qui au début du XXe siècle a atteint son point d’orgue compte tenu de l’afflux des importations, a tôt fait de séduire Georges Bastard. L’artiste trouve dans cet art extrême-oriental matière à inspiration. Suivant les leçons de l’art japonais, il synthétise ses formes, puise son répertoire décoratif dans la nature – dans l’observation du monde microscopique des insectes notamment – et élève au rang d’œuvres d’art des objets (boîtes, éventails, bonbonnières, coupes, miroirs, etc.) considérés comme des bibelots. À l’instar des artisans nippons, il fait dialoguer subtilement les matières, jouant sur les contrastes de couleur, sur les effets de factures et de textures.
Trésor de nacre
Dans le cas de ce précieux coupe-papier, son savoir-faire méticuleux s’applique uniquement à la nacre goldfisch issue de l’ormeau, un coquillage originaire du Japon. Prisée pour ses reflets irisés et chatoyants, mais d’une taille difficile en raison de sa dureté, la nacre est travaillée ici à partir de deux plaques collées ensemble en biseau. La jointure, discrète, se confond avec les motifs stylisés de fleurs développées en spirales, qui se concentrent sur le manche de l’objet. Tandis que le décor est sculpté en bas-relief sur l’une des faces, se déployant par strates, il est repris à l’identique sur la face opposée, mais gravé cette fois en creux. Bastard ne retient qu’un seul motif pour assurer la composition de ce coupe-papier : le camélia du Japon1 qu’il reproduit plusieurs fois sans s’encombrer de détails superflus. Présentés sur un même plan, à la manière des katagami – ces pochoirs utilisés pour teindre des étoffes et y imprimer des motifs –, sept camélias se déploient ainsi en quinconce sur fond de petites perles (ou cailloux?), dans un mouvement ondoyant qui évoque le courant marin et, partant, la matière organique dont cet accessoire de luxe est façonné. À l’évidence, Bastard sait mettre la technique au service de la poésie et jouer sur les nuances de roses caractérisant la nacre, qui suffisent à suggérer les teintes de ces fleurs épanouies.
Mariant le raffinement et l’utilité, cet objet signé «G. Bastard» est particulièrement révélateur de la sensibilité de ce dernier aux séductions de l’Extrême-Orient. Excellant dans le travail des matières délicates, il se place dans la lignée d’artistes tels que René Lalique (1874-1960) et Lucien Gaillard (1861-1942), qui tous deux gravitent dans son entourage et affichent le même attrait pour ces influences lointaines. Le MAH avait d’ailleurs bien saisi cette parenté artistique devenant tour à tour, cette même année 1923, l’heureux acquéreur du délicat coupe-papier acheté directement à l’artiste, ainsi que de trois objets de René Lalique.
1 Ce motif constitue également le thème d’un remarquable éventail en nacre sculpté proposé dernièrement sur le marché de l’art : Éventail Les Camélias, Coutau-Bégarie & Associés, mardi 30 mars 2021, vente n° 50, p.11.