La chasse au vol dans l’exposition Châteaux forts et Chevaliers
Deux yeux jaunes perçants, des narines orangées, un bec crochu, une poitrine claire parsemée de plumes sombres, une paire de serres griffues: tel est le portrait de l’autour mâle juvénile, ce rapace qui veille pour quelques jours encore sur l’exposition Châteaux forts et Chevaliers.
Bien connu sous nos latitudes, l’autour des palombes, grand amateur de chair de pigeons, se distingue nettement des falconidés par sa taille, son poids et ses habitudes; accipiter gentilis – d’après le nom savant qui décrit sa faculté à «saisir» – est ainsi davantage le cousin des aigles, des buses et des éperviers que du célèbre faucon pèlerin ou du non moins connu crécerelle au vol stationnaire emblématique. Issus de familles différentes et de morphologies dissemblables, autours et faucons, par leur habileté et leur instinct de chasseur, suscitent toutefois dès le haut Moyen Âge une même passion auprès de la noblesse occidentale qui cultive et développe l’art ancestral de la chasse au vol.
L’exposition Châteaux forts et Chevaliers – qui, au cours des derniers mois, a déjà permis à un large public de se familiariser avec différentes facettes de la vie de cour en Savoie au XIVe siècle (à travers des manuscrits, des armoiries ou des jeux) – propose également d’appréhender la pratique de la fauconnerie et de l’autourserie à travers un choix d’œuvres hétéroclite et de diverses provenances réuni à proximité du jeune autour.
Un autour, sa cage et des grelots
Complémentaire à la pratique de la chasse à courre mise en évidence dans le cycle peint de Cruet, la chasse au vol nécessite un personnel important pour notamment soigner, nourrir ou suivre les rapaces. L’historien Matthieu de la Corbière, en fin connaisseur du sujet, rappelle à ce propos dans le catalogue de l’exposition¹, que le comte de Genève, «en 1345, pour vingt-deux oiseaux, emploie cinq fauconniers, trois oiseleurs et six valets de fauconnerie» (p.89). Ces derniers, durant les voyages ou les parties de chasse, sont notamment chargés du transport de l’animal au moyen de cages en fer. Celle dans laquelle notre autour a élu domicile date du XVe siècle et provient du château de Grandson, sur les bords du lac de Neuchâtel.
Équivalent de la balise GPS fixée de nos jours par les fauconniers qui perpétuent une tradition désormais classée au patrimoine immatériel de l’Unesco, des grelots de petite taille (env. 2,5 cm) permettent de retrouver un oiseau fatigué ou fugitif – les rapaces ne se domestiquent pas ! Accrochés par des lanières aux tarses ou à la base des plumes caudales, ils sont, comme en témoignent deux grelots découverts près du château de Löwenburg (Jura), assez simples et sans décor; quelques-uns, plus précieux, peuvent toutefois comporter des inscriptions ou un signe distinctif du propriétaire de l’oiseau, à l’image des armes du seigneur d’Estavayer Humbert le Bâtard de Savoie (1377-1443) reconnaissables sur un grelot retrouvé lors de fouilles archéologiques à Morat.
Une mise au poing
Désormais bien équipés et leurs chaperons retirés, autours et faucons, sont pris au poing avant de s’envoler. Muni d’un gant protecteur, le seigneur tient son rapace à la manière de Saint-Thibault. Ce chevalier d’origine champenoise, reconverti en ermite suite à un appel mystique, est ici représenté sur une statue en bois polychrome en train de nourrir son oiseau de morceaux de viande tirés d’un petit carnier.
À partir de la prise au poing, une mise au point s’impose: faucons et autours ne chassent pas dans les mêmes conditions. Les premiers, considérés comme des oiseaux de haut vol, tournoient avant de fondre sur leur cible; atteignant en piqué des vitesses moyennes de 150 km/h, ils assomment leur proie en plein ciel, privilégiant par conséquent le gibier à plumes effarouché par des chiens leveurs. Les seconds, oiseaux de bas vol, moins rapides mais plus agiles grâce à leurs longues rectrices, agissent en forêt. En attente sur le poing, les autours sont lâchés au dernier instant pour saisir au sol du petit gibier à poil comme à plumes.
L’art de chasser au moyen des oiseaux
Basée à l’origine sur des connaissances empiriques, la fauconnerie fait l’objet à partir du XIIIe siècle de traités très complets et détaillés. Le plus célèbre de ces traités, De arte venandi cum avibus (Livre de l’art de chasser au moyen des oiseaux) est l’œuvre de Frédéric II de Hohenstaufen, empereur des Romains de 1220 à 1250. Désireux de transmettre sa passion et ses connaissances à son fils Manfred, il rédige dès 1240 six livres en latin sur le sujet. La Bibliothèque de Genève, dans sa riche collection de manuscrits, en conserve une copie réalisée sur vélin. Daté de 1485-1490, l’ouvrage comporte un frontispice richement décoré représentant Frédéric II entouré de fauconniers et d’une grande variété d’oiseaux. Un autre folio, présentant les titres «De la camponelle» et «Comment on doit porter l’oisel sus la main» (f.164) – en ancien français dans le texte –, vient apporter de précieux compléments sur les grelots et la prise au poing décrits plus haut.
Le faucon, symbole d’action et de noblesse
Croyant quitter le monde de la chasse au vol pour celui de la vie courtoise, le visiteur sera peut-être étonné de retrouver dans la salle suivante plusieurs oiseaux sur différents petits objets du quotidien en ivoire ou en os sculptés. Sur une écritoire portative du Nord de la France, une scène de l’Histoire de la Châtelaine de Vergy montre la dame et son petit chien d’un côté et de l’autre son amant tenant au poing droit un rapace de grande taille. Très conventionnelle, cette image oppose la vie de chasse et d’action de l’homme à la vie domestique de la femme à travers les figures contraires de l’oiseau sauvage et du petit chien d’intérieur; par la seule présence du précieux rapace, elle inscrit également le couple dans un cadre restreint, celui de la noblesse, seule à pratiquer la fauconnerie.
C’est à ce même registre qu’appartient l’une des scènes de la valve de miroir prêtée par le Museo Civico d’Arte Antica de Turin; sur celle-ci, l’homme, à droite, tient cette fois un oiseau plus finement incisé, mais toujours difficilement reconnaissable. Dans une autre vitrine, un manche de couteau en os figurant un jeune homme nourrissant un faucon complète cet inventaire atypique et met fin au survol de ce sujet.