Ouverture viennoise
Dans le cadre de cette année consacrée à Ferdinand Hodler, un cycle de concerts de musique de chambre a été élaboré par le Quatuor de Genève, en dialogue avec l’œuvre du peintre suisse empreint de rythme et de musicalité. Les quatre concerts, se déroulant à la Salle Centrale de la Madeleine (18 mars et 30 septembre) et au Musée d’art et d’histoire (22 avril et 11 novembre), entraînent les auditeurs tantôt à Vienne, tantôt à Paris, deux capitales déterminantes pour le succès international de Hodler. Le concert introductif a lieu ce dimanche 18 mars, avec un programme axé sur les classiques viennois, Joseph Haydn (1732-1809) et Ludwig van Beethoven (1770-1827).
Beethoven, Hodler et la Sécession viennoise
La capitale autrichienne tient une place particulière dans la vie de Ferdinand Hodler. En 1901, il est devenu membre de la Sécession viennoise et, trois ans plus tard, il est l’invité d’honneur d’une exposition qui lui vaut un immense succès, marquant un tournant décisif dans sa carrière qui lui assura enfin l’aisance matérielle. La Sécession est un mouvement né en 1897 d’un groupement d’artistes rebelles au naturalisme en vogue qui militent pour un art nouveau, fondé sur l’expression d’une idée ou d’un sentiment plutôt que sur la représentation de la réalité. Formé autour de Koloman Moser, Josef Hoffmann et Gustav Klimt, le groupe organise une exposition hommage à Beethoven en 1902, où se mêlent architecture, peinture, sculpture et musique, selon le parangon de la synthèse des arts voulue par le mouvement. C’est dans ce contexte que Gustav Klimt peint, dans le palais de la Sécession, la fameuse frise de Beethoven encore visible aujourd’hui. Pour sa part, Josef Hoffmann se verra confier par Hodler la décoration de son appartement genevois en 1913. Le mobilier du 29, quai du Mont-Blanc est aujourd’hui visible dans l’accrochage Hodler intime, inauguré le 1er mars au Musée d’art et d’histoire.
Quatuor et symétrie
Quand Joseph Haydn, attaché à la cour des Esterházy, écrit les six quatuors des opus 54 et 55 en 1788, il est célèbre dans toute l’Europe. Le quatuor op.54 n°2 en ut majeur est sans doute le plus fameux, alliant virtuosité et innovations, notamment dans les libertés prises avec la tonalité. Il repose sur une construction à la symétrie marquée qui devait assurément plaire à Ferdinand Hodler. Ainsi, dans l’ample premier mouvement, Haydn affirme la tonalité d’ut majeur dans deux phrases de cinq mesures, séparées par une pause générale. Les mouvements internes sont conçus comme une paire, avec le menuet qui rappelle les dissonances en tonalité mineure de l’adagio, tandis que le quatrième mouvement, peu orthodoxe, est un long adagio coupé en deux par un fugace presto.
Quatuor et incompréhension
L’œuvre de Ferdinand Hodler polarisa la critique et le public pendant la majorité de sa carrière. Une situation qui ne fut pas étrangère à celle de Ludwig van Beethoven un siècle plutôt. Mais les trois quatuors de l’opus 59 dédié au prince Razumovsky, ambassadeur de Russie à Vienne, et particulièrement le numéro 1 en ré majeur qui sera joué ce dimanche 18 mars, suscitèrent l’incompréhension unanime du public, de la critique et même des interprètes. À un violoniste qui lui avait déclaré que ce n’était pas de la musique, Beethoven aurait répondu: «Ce n’est pas pour vous! C’est pour les temps à venir.» Truffé de difficultés techniques qui s’égrènent durant plus de quarante minutes, le quatuor, dont chaque mouvement suit le schéma d’une forme sonate, s’inscrit comme un modèle dans l’histoire du genre et est aujourd’hui l’une des pièces de chambre les plus appréciées du compositeur viennois.