Carte blanche donnée à l'historien de l'art Jean-Hubert Martin, l'exposition Pas besoin d'un dessin revisite la collection du MAH de manière aussi originale que réjouissante. Le parcours d'une vingtaine de salles thématiques inclut, dans l'une des grandes salles palatines, un chapitre intitulé "Du drapeau à la couverture" que le commissaire introduit ainsi dans le catalogue de l'exposition:
"Il n’y a pas de pays plus attaché au drapeau et à l’héraldique que la Suisse. Pas de
fête sans déploiement de bannières et même lancer de drapeaux. Le sujet est
vaste, mais rarement abordé dans sa relation avec l’art moderne, dans son expression
géométrique. Avec l’art concret, c’est en Suisse que ce mouvement a connu
son développement optimal avec Max Bill et Gottfried Honegger à partir des
années 1930. Une demi-douzaine de cantons utilisent pour leurs drapeaux une
partition verticale, horizontale ou diagonale qui détermine deux champs de couleurs
différentes. Cette bichromie n’est pas loin de certaines œuvres de l’art concret
et explique son ancrage dans le pays.
La collection du musée, héritière de la tradition, recèle des drapeaux de régiments
qui sont du même registre et ont dû être conçus à la même époque que ces
emblèmes militaires, qui cependant présentent des formes et des complexités géométriques
singulières.
Un fragment de drapeau d’infanterie genevoise sur taffetas de soie de la
seconde moitié du XVIe siècle est étonnant par la sophistication du jeu des orthogonales
et des diagonales qui créent des strates où interviennent des impressions
de recouvrement des unes par les autres et, par conséquent, d’une certaine profondeur.
Les dimensions sont imposantes. Les couleurs sont passées et se cantonnent
dans un registre fade de brun et de beige. Sa reconstitution avec les
couleurs d’origine (noir, violet, jaune et bleu) est surprenante et livre la clé de la
composition. L’angle de diagonale bleu détermine le changement de direction des
droites et de couleur des champs qu’elles délimitent. D’autres drapeaux d’infanterie
savoyards de la même époque et des drapeaux de communes des environs présentent
les mêmes raffinements et élaborations dans les combinaisons de forme
et de couleur. Le but de ces étendards était de fournir un signe de ralliement et de
reconnaissance, visible le plus loin possible, ce qui explique la recherche d’effets
d’harmonie et de contraste similaires à ceux de la peinture moderne.
Un ensemble exceptionnel de quilts américains s’ajoute à ce registre. Ces
couvertures sont des courtepointes en patchwork qui contiennent un rembourrage
entre deux épaisseurs de tissu. Les quilts faits par les femmes appartenant aux
communautés amish et mennonites aux États-Unis à la fin du XIXe siècle sont devenus
particulièrement célèbres et ont obtenu le privilège, grâce à la force du marché
américain, d’accéder au rang d’objets d’art à part entière, ce que bien d’autres
catégories d’objets toujours classés comme artisanaux mériteraient tout autant
d’obtenir. Le quilt amish en diamant rouge et bleu foncé n’a en fait rien à envier à
la peinture abstraite, seuls les matériaux les distinguent.
À sa manière, cultivant une généreuse et élégante ironie, John M Armleder ne
dit pas autre chose avec sa grande peinture en damier. Elle lance des passerelles
aussi bien du côté du tapis de Josef Hoffmann destiné à Ferdinand Hodler et des
zébrures du costume d’Henri Matisse que de Carl Andre. La dalle funéraire d’Amédée
de la Palud provenant du sol d’une église est là pour rappeler que l’artiste américain
a eu des prédécesseurs concernant la sculpture sur laquelle on peut marcher."
Notre sélection: 11 œuvres dans cette galerie
En cours de chargement...