
Carte blanche donnée à l'historien de l'art Jean-Hubert Martin, l'exposition Pas besoin d'un dessin revisite la collection du MAH de manière aussi originale que réjouissante. Le parcours d'une vingtaine de salles thématiques inclut un chapitre intitulé "De l'ambiguïté à l'énigme" que le commissaire introduit ainsi dans le catalogue de l'exposition:
De même que la poésie permet de se servir des mots avec une pluralité de sens,
l’image double est utilisée par les artistes visuels pour laisser au regardeur le choix
de sa signification. Ces ambiguïtés visuelles ont pris toutes sortes de formes.
L’une des images cachées les plus courantes dans les arts décoratifs est le visage
marqué par deux points pour les yeux et un pour la bouche. Ces figures inattendues
sont dissimulées dans les ornements d’objets courants: fauteuil, pot, boucle de
ceinture et guitare-lyre. En leur ajoutant une arcade sourcilière autour des yeux,
elles constituent un autre ensemble allant d’un plastron d’armure à un châle en
cachemire, en passant par les merveilleuses escabelles sculptées haut-rhénanes
du XVIIe siècle. Leurs dossiers dérivant du style auriculaire diffusé par les gravures
hollandaises combinent dans leurs contorsions d’entrelacs circulaires des visages
de face et de profil, qui perpétuent le lointain souvenir de Giuseppe Arcimboldo.
La double image est plus complexe, car elle met en jeu deux images différentes.
Le cas des profils humains apparaissant dans les rochers est flagrant et
n’a cessé de se répéter du XVIe au XIXe siècle, livrant ainsi une vision animiste du
monde minéral, qui n’a suscité que très peu d’intérêt auprès des historiens de l’art.
Les peintures et les gravures qui succombent à ce qui est devenu une sorte de
stéréotype sont pourtant légion.
Markus Raetz était féru d’ambiguïtés visuelles de toutes sortes: des têtes
d’hommes noirs qui prennent le contour de l’Afrique ou l’intérieur d’un œil en forme
de caverne dont le sol suggère un visage. Il pousse la prouesse beaucoup plus loin,
lorsqu’il la développe en trois dimensions avec sa Métamorphose I qui transforme
le buste de Beuys en lièvre, à mesure qu’on tourne autour de la sculpture, en référence
à une célèbre performance de l’artiste-shaman allemand.
Le Vase dit de Rubin doit sa forme aux deux profils qui le délimitent en creux.
Les portraits en silhouettes noires en vogue à partir du XVIIIe siècle en donnent la
clé. Il a été utilisé à l’origine pour étudier sous sa forme graphique et bidimensionnelle
des questions sémantiques de la perception figure-fond.
Parmi les jeux visuels les plus connus, figurent le trompe-l’œil et l’anamorphose,
laquelle, par l’intermédiaire de sa réflexion dans un miroir cylindrique, transforme
un gribouillage circulaire indéchiffrable en une image cohérente. Le système
de traduction de la profondeur spatiale qu’est la perspective peut également être
perverti par le maître qu’en est Piranèse. Il livre dans la planche 14 de ses célèbres
Prisons imaginaires un jeu d’escaliers sous des arcatures qui s’avère être un leurre.
Les pierres de rêve chinoises sont découpées en plaques dans des marbres
aux veines noires et grises et ornent parfois le mobilier. Insérées dans un canapé de
bois, elles évoquent les cimes de montagnes enveloppées de nuages et riment
aussi bien avec La Jungfrau dans le brouillard de Ferdinand Hodler qu’avec un relief
nébuleux et argenté de Jean Arp.
Le même type d’analogie s’établit entre la magnifique table en paésine du
XVIIe siècle évoquant un paysage fantastique et les Brumes d’Ernest Biéler.
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