
Carte blanche donnée à l'historien de l'art Jean-Hubert Martin, l'exposition Pas besoin d'un dessin revisite la collection du MAH de manière aussi originale que réjouissante. Le parcours d'une vingtaine de salles thématiques inclut, dans l'une des petites salles palatines, un chapitre intitulé "De la naissance de Vénus à la cascade" que le commissaire introduit ainsi dans le catalogue de l'exposition:
"La Fontaine personnifiée (1837) de Jacques-Laurent Agasse est au centre de cet
ensemble d’œuvres. Elle tranche par rapport à la production courante de ce peintre
animalier. Sa singularité rehausse le prestige d’un artiste autrement cantonné dans
la peinture de genre, où il excelle. Il en fit quatre versions, preuve qu’il tenait beaucoup
à cette figure atypique ou qu’elle eut un tel succès qu’elle entraîna des commandes.
Elle émerge tout juste de l’eau et ses longues mèches dorées dégoulinent et se
transforment en gouttelettes à leur extrémité. Sa longue chevelure mouillée favorise
sa pudeur et on la sent ruisselante, bien qu’elle ait la pose figée d’une allégorie.
Incarnation d’une source ou nymphe aquatique, Ondine, comme la nomme
l’artiste sur une autre version, rappelle immanquablement La Naissance de Vénus
de Sandro Botticelli. À l’opposé du calme et de la sérénité dans laquelle celle-ci
baigne, Émile-François David se plaît à la transposer dans une veine romantique,
imprégnée de réalisme pittoresque. Le paysage est dramatique, les vagues sont
déchaînées et Vénus s’extrait de la corolle d’un hybride de fleur marine et de tentacule
de poulpe.
Une série d’objets dans une armoire permet de restituer métaphoriquement
la genèse de cette naissance : d’un vase grec ne sort du coquillage que la tête de
Vénus, puis James Pradier la fait apparaître écartant les deux valves, avant de la
dévoiler couchée dans une sorte d’huître géante, similaire à une coque nacrée
servant de porte-monnaie au XIXe siècle et dont la forme évoque une caverne de
glacier, telle que la représente Edward Backhouse.
Le mouvement et la fluidité de l’eau sont des défis pour les peintres, en particulier
pour les artistes suisses spécialisés dans les vues de montagne avec leurs
cascades. François Diday se résout, conformément au naturalisme du XIXe siècle,
à les traiter comme des volumes blancs provoqués par la mousse et surmontés
d’une légère brume. Or si l’on passe à l’estampe japonaise, Utagawa Kunisada livre
une figure d’acteur assis dans l’eau, comme l’Ondine d’Agasse, mais sous une cascade.
Il traite l’eau et le personnage selon une conception totalement différente
conforme à sa culture, c’est-à-dire une interprétation purement graphique. Ne tenant
pas compte de l’effet optique, des traits d’eau s’abattent sur la tête de l’acteur et
rebondissent de part et d’autre pour l’encadrer dans une auréole, alors que les
remous dans le bassin créent des ondulations. On voit s’affronter deux modes bien
distincts d’interprétation et de représentation du réel."
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