Carte blanche donnée à l'historien de l'art Jean-Hubert Martin, l'exposition Pas besoin d'un dessin revisite la collection du MAH de manière aussi originale que réjouissante. Le parcours d'une vingtaine de salles thématiques s'ouvre sur un chapitre que le commissaire a intitulé "De la croix au globe" et qu'il introduit ainsi dans le catalogue de l'exposition:
"L’homo vitruvianus, l’homme vitruvien, dont le corps aux membres écartés s’inscrit
à l’intérieur d’un cercle, a connu une célébrité extraordinaire grâce au dessin de
Léonard de Vinci. Cette recherche des proportions idéales du corps humain tend
à définir la perfection de la créature de Dieu, telle qu’elle est prônée par la
Renaissance, qu’on veuille l’inscrire dans un carré ou dans un cercle.
Avant d’être résumé par le schéma géométrique de la croix, le Christ fait
homme est représenté dans la situation dramatique de la crucifixion par Antoon van
Dyck, à laquelle fait écho le Bœuf écorché de Jan Victors, comme pour rappeler par
une métaphore animale que l’absence de sang sur les images de l’époque ne doit
pas faire oublier, derrière l’enveloppe de la peau, la chair et le sang qui provoquent sa
souffrance. Conformes à un goût des artistes hollandais pour la vulgarité, les gestes
triviaux tels que le ballon fait avec la vessie relèvent d’une banalisation ironique.
Les deux droites perpendiculaires de la croix s’emparent de la chrétienté et
deviennent son signe de ralliement, au point de structurer une pensée hiérarchique
du haut et du bas. On la retrouve partout en héraldique sur les drapeaux (suisses)
et sur les boucliers. L’épée et sa garde en reprennent l’agencement: «Et de sa
bouche sortait une épée aiguë à deux tranchants», dit Odilon Redon. Sa présence
étant inévitable, Kasimir Malevitch et les modernes s’emploient à la déconstruire,
alors que nos contemporains, comme Olivier Mosset, l’accumulent.
En Orient, où la croix n’a évidemment pas la signification chrétienne, elle
apparaît de façon subtile et inopinée sur une feuille calligraphiée persane et dans
la coupe du caftan à manches kimono.
Quand apparaît en Europe le masque dogon Kanaga, sa géométrie et son
anthropomorphisme lui assurent un succès immédiat. Il échappe au modèle gréco-romain
de l’homme encerclé et il se substitue à la croix dans un milieu incroyant.
L’ensemblier Gustave-Adolphe Hufschmid en reprend avec habileté et humour le
schéma dans sa Bibliothèque basse en 1930. On en retrouve la trace dans La
Crucifixion tortueuse d’Antonio Saura.
À l’opposé, la représentation humaine d’Inde du IIe millénaire avant J.-C. s’inscrit
dans le cercle plutôt que dans la ligne et l’angle. À partir d’un cercle d’argile, un
designer romain avant la lettre fait une lampe en repliant trois fois un bord du disque
avec une économie de moyens remarquable.
Le schéma récurrent de l’enfermement du carré dans le cercle se retrouve
jusque sur des objets quotidiens comme une gourde. Les horlogers genevois ont
transformé les bras, avec leur mouvement circulaire, en aiguilles pour indiquer l’heure.
Le globe que tient Uranie, muse de l’astronomie, et celui que supporte Atlas
sont des globes célestes. Celui que tient dans sa main Dieu le Père est un globe
crucigère, qui a perdu sa croix. Il représente la sphère céleste avec la Terre en son
centre dont Dieu affirme la domination temporelle par l’intermédiaire du Christ. Il
regarde les fractures qui fissurent le cercle terrestre de Richard Long."
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